Les villes que l'Europe nous offre sont trop pleines des rumeurs du passé. Une oreille exercée peut y percevoir des bruits d'ailes, une palpitation d'âmes. On y sent le vertige des siècles, des révolutions, de la gloire. On s'y souvient que l'Occident s'est forgé dans les clameurs. Cela ne fait pas assez de silence. Paris est souvent un désert pour le coeur, mais à certaines heures, du haut du père-Lachaise souffle un vent de révolution qui remplit soudain ce désert de drapeaux et de grandeurs vaincues. Ainsi de quelques villes espagnoles, de Florence ou de Prague. Salzbourg serait paisible sans Mozart. Mais, de loin en loin, court sur la Salzach le grand cri orgeuilleux de don Juan plongeant aux enfers. Vienne parait plus silencieuse, c'est une jeune fille parmi les villes. Les pierres n'y ont pas plus de trois siècles et leur jeunesse ignore la mélancolie. Mais Vienne est à un carrefour d'histoire. Autour d'elle retentissent des chocs d'empires. Certains soirs où le ciel se couvre de sang, les chevaux de pierre, sur les monuments du Ring, semblent s'envoler. Dans cet instant fugitif, où tout parle de puissance et d'histoire, on peut distinctement entendre, sous la ruée des ascadrons polonais, la chute fracassante du royaume ottoman. Cela non plus ne fait pas assez de silence.
vendredi 20 août 2010
Gaspard Ulliel : L'odyssée d'une fossette
Un coup d’œil à la filmographie de Gaspard Ulliel rend silencieux : débuts télévisuels à 13 ans aux côtés de Sandrine Bonnaire, 16 long-métrages depuis, la réplique à Emmanuelle Béart, Isabelle Huppert, Vera Farmiga, de nombreux tournages à l’étranger (« Un barrage contre le Pacifique », « The Vintner’s luck », « Ultimatum »…). Le césarisé meilleur espoir masculin de 2005 appelle, cinq ans plus tard, Scorsese par son petit nom. Ils viennent de tourner, ensemble, le nouveau film publicitaire de Chanel pour le parfum Blue. Et Gus (Van Sant) est un bon ami. A-t-on le droit de fricoter avec les dieux ? L’hybris des Grecs, c’est fini, on peut sortir de sa condition aujourd’hui ?
Voyage d’une terrestre dans le ciel d’Ulliel…
Quatre tournages en un an et une montée des marches à Cannes. Absolument… démiurgique ! « Le film de Bertrand Travernier m’a permis de renouer avec le cinéma d’auteur et j’en avais besoin » confie Gaspard Ulliel. La princesse de Montpensier, en compétition officielle, sera diffusée aux Etats-Unis (le distributeur IFC a acheté les droits). « Les films en costume s’exportent bien » s’amuse-t-il, « c’est pourtant un film très français ».
La publicité pour le nouveau parfum homme de Chanel, dont Gaspard Ulliel est le nouvel ambassadeur, sera diffusée en septembre. Le film publicitaire va faire sensation. Derrière la caméra, le fascinant Martin Scorsese. La bande-son ? Les Stones. Tournage à New-York, par une équipe « incroyablement pro, digne d’un long-métrage, dirigée par le chef opérateur qui a conceptualisé l’image de La leçon de Piano, Stuart Dryburgh ». Ce qui l’a poussé à accepter ? « J’ai décliné toutes les autres offres de maisons de parfum. Mais Chanel et Scorsese, ça ne se refuse pas ». Comment il est, Martin Scorsese ? « Drôle et sympathique. Il écrit tout : storyboard, notes d’intention, mouvements de camera, découpages, tout est carré ! ». Et le spot ? « Le film a une vraie énergie, est très accrocheur, visuellement c’est tout simplement magnifique ».
Les parents de Gaspard Ulliel, stylistes, lui ont communiqué le goût des belles formes. « J’aime bien m’habiller, même si je n’en fais pas une obsession ». En effet, ses apparitions dans le rôle de mannequin semblent à la fois naturelles et fugaces. Le roi de la maroquinerie, Longchamps, avait déjà craqué en 2008 pour les lèvres lippues de l’acteur, son corps rond et musclé qui contrastait à merveille avec l’élégance tendue de la fidèle égérie, Kate Moss. Le making of du shooting au café de flore, romantique à souhait, laisse perplexe : on ne sait plus si on est jaloux d’elle, de lui, des deux, de leurs maquilleuses… En mars 2010, Paolo Roversi le shootait pour le New York Times. Ambiance crooner américain, petite moustache, large trench.
Je l’observe défaire le fil de sa carrière, appliqué, soucieux de bien dater le début du tournant international. Dès Un long dimanche de Fiançailles de Jean-Pierre Jeunet, tourné en partie aux USA, il tisse des liens avec ce pays, rencontre des agents, voyage. « Le rôle d’Hannibal a boosté ma notoriété en Amérique ». Je l’observe situer les De Van, Blanc, Webber, Jeunet et autres inspirateurs dans l’histoire de sa vie ; comparer ses mentors Otmezguine et Téchiné, au travers d’hommages sincères ; faire le lien entre rencontres fortuites et rencontres professionnelles, s’en amuser. Mon observation chemine vers le constat suivant : voilà un Apollon bien abordable.
Gaspard Ulliel n’est plus le titi mutique des écrans parisiens. Voix rauque d’ « Hannimal », mâchoires carrées, cheveux plaqués en arrière… Le petit Manech façonné par Jeunet a dorénavant l’allure d’un homme – l’homme du genre rital au visage pâle qui peut faire des dégâts au cœur. Sa jeunesse au vitriol, un quart de siècle derrière soi, Gaspard Ulliel pense à la réalisation. Un moyen de renouer avec ses premières amours qui l’avaient poussé à entamer des études de cinéma à l’université de Saint-Denis. Si le temps sert de gouvernail, il étiole aussi la confiance ; avec la maturité, viennent les doutes : « j’y pense, j’écris, mais je ne me sens pas encore prêt ». Gaspard Ulliel se dit trop perfectionniste. Il le dit en souriant et sa fossette prend vie. Fine et nette, tracée à la lame, elle est une marque de nudité qu’il porte comme un bijou.
Le fait qu’il reconnaisse sans ambages de possibles erreurs de parcours lui donne une longueur d’avance : « j’ai voulu toucher à tout, aux films pointus qui donnent du galon et aux films plus grand-public. Je me suis peut-être planté, les gens du métier ne savent plus où me placer. J’ai fait le pari que la notoriété permet ensuite l’exigence dans le choix de films ». Il s’emballe, légèrement : « Il faut bien la gagner cette notoriété ! C’est un équilibre subtil fait de compromis. Maintenant, j’essaie d’avoir plus de rigueur, comme Sean Penn que j’admire pour ses choix assurés et son parcours sans faute. C’est plus facile aux Etats-Unis, les familles cinématographiques sont moins définies, il y a plus de liberté d’action, on est bien moins vite catalogué ».
Je découvre que les dieux de l’olympe peuvent être écorchés. Dans le petit salon aux volutes de velours de l’Hôtel Particulier de Montmartre, une musique douce nous délasse. Il poursuit sur la réalisation : « Je pense produire un scénario original. Si je devais adapter, ce serait de la littérature ancienne, non contemporaine. Je voudrais faire quelque chose d’intime, sur l’humain ».
Derrière le fantasme, derrière le mannequin, le beau-gosse à la bouche gourmande, il existe un homme aux sensibilités aigues et à la passion fouillée. Cinéphile, amoureux de Tarkovski et Bergman, Gaspard Ulliel aimerait tourner avec James Gray et Paul Thomas Anderson, deux cinéastes modernes aux univers forts et aux styles affirmés. Il tire son chapeau devant Leonardo Dicaprio, dont l’intelligence insaisissable lui a permis de se dévêtir des habits de jeune poupon et d’explorer des terres autrement plus variées : « Dicaprio est un modèle générationnel. Il parait qu’il écrit des préfaces de livres d’art contemporain. J’aimerais beaucoup discuter avec lui ». Enfin, il fait la révérence devant la soyeuse Kate Blanchett, dont il est « le premier fan ». Et si Kate le lui demandait, il habiterait aux States ? « Pourquoi pas. New-York me prend par les tripes, il se passe quelque chose dans cette ville. Scorsese rend très bien compte de cette impression dans « After Hours ».
La déité sera new-yorkaise ou ne sera pas !
Voyage d’une terrestre dans le ciel d’Ulliel…
Quatre tournages en un an et une montée des marches à Cannes. Absolument… démiurgique ! « Le film de Bertrand Travernier m’a permis de renouer avec le cinéma d’auteur et j’en avais besoin » confie Gaspard Ulliel. La princesse de Montpensier, en compétition officielle, sera diffusée aux Etats-Unis (le distributeur IFC a acheté les droits). « Les films en costume s’exportent bien » s’amuse-t-il, « c’est pourtant un film très français ».
La publicité pour le nouveau parfum homme de Chanel, dont Gaspard Ulliel est le nouvel ambassadeur, sera diffusée en septembre. Le film publicitaire va faire sensation. Derrière la caméra, le fascinant Martin Scorsese. La bande-son ? Les Stones. Tournage à New-York, par une équipe « incroyablement pro, digne d’un long-métrage, dirigée par le chef opérateur qui a conceptualisé l’image de La leçon de Piano, Stuart Dryburgh ». Ce qui l’a poussé à accepter ? « J’ai décliné toutes les autres offres de maisons de parfum. Mais Chanel et Scorsese, ça ne se refuse pas ». Comment il est, Martin Scorsese ? « Drôle et sympathique. Il écrit tout : storyboard, notes d’intention, mouvements de camera, découpages, tout est carré ! ». Et le spot ? « Le film a une vraie énergie, est très accrocheur, visuellement c’est tout simplement magnifique ».
Les parents de Gaspard Ulliel, stylistes, lui ont communiqué le goût des belles formes. « J’aime bien m’habiller, même si je n’en fais pas une obsession ». En effet, ses apparitions dans le rôle de mannequin semblent à la fois naturelles et fugaces. Le roi de la maroquinerie, Longchamps, avait déjà craqué en 2008 pour les lèvres lippues de l’acteur, son corps rond et musclé qui contrastait à merveille avec l’élégance tendue de la fidèle égérie, Kate Moss. Le making of du shooting au café de flore, romantique à souhait, laisse perplexe : on ne sait plus si on est jaloux d’elle, de lui, des deux, de leurs maquilleuses… En mars 2010, Paolo Roversi le shootait pour le New York Times. Ambiance crooner américain, petite moustache, large trench.
Je l’observe défaire le fil de sa carrière, appliqué, soucieux de bien dater le début du tournant international. Dès Un long dimanche de Fiançailles de Jean-Pierre Jeunet, tourné en partie aux USA, il tisse des liens avec ce pays, rencontre des agents, voyage. « Le rôle d’Hannibal a boosté ma notoriété en Amérique ». Je l’observe situer les De Van, Blanc, Webber, Jeunet et autres inspirateurs dans l’histoire de sa vie ; comparer ses mentors Otmezguine et Téchiné, au travers d’hommages sincères ; faire le lien entre rencontres fortuites et rencontres professionnelles, s’en amuser. Mon observation chemine vers le constat suivant : voilà un Apollon bien abordable.
Gaspard Ulliel n’est plus le titi mutique des écrans parisiens. Voix rauque d’ « Hannimal », mâchoires carrées, cheveux plaqués en arrière… Le petit Manech façonné par Jeunet a dorénavant l’allure d’un homme – l’homme du genre rital au visage pâle qui peut faire des dégâts au cœur. Sa jeunesse au vitriol, un quart de siècle derrière soi, Gaspard Ulliel pense à la réalisation. Un moyen de renouer avec ses premières amours qui l’avaient poussé à entamer des études de cinéma à l’université de Saint-Denis. Si le temps sert de gouvernail, il étiole aussi la confiance ; avec la maturité, viennent les doutes : « j’y pense, j’écris, mais je ne me sens pas encore prêt ». Gaspard Ulliel se dit trop perfectionniste. Il le dit en souriant et sa fossette prend vie. Fine et nette, tracée à la lame, elle est une marque de nudité qu’il porte comme un bijou.
Le fait qu’il reconnaisse sans ambages de possibles erreurs de parcours lui donne une longueur d’avance : « j’ai voulu toucher à tout, aux films pointus qui donnent du galon et aux films plus grand-public. Je me suis peut-être planté, les gens du métier ne savent plus où me placer. J’ai fait le pari que la notoriété permet ensuite l’exigence dans le choix de films ». Il s’emballe, légèrement : « Il faut bien la gagner cette notoriété ! C’est un équilibre subtil fait de compromis. Maintenant, j’essaie d’avoir plus de rigueur, comme Sean Penn que j’admire pour ses choix assurés et son parcours sans faute. C’est plus facile aux Etats-Unis, les familles cinématographiques sont moins définies, il y a plus de liberté d’action, on est bien moins vite catalogué ».
Je découvre que les dieux de l’olympe peuvent être écorchés. Dans le petit salon aux volutes de velours de l’Hôtel Particulier de Montmartre, une musique douce nous délasse. Il poursuit sur la réalisation : « Je pense produire un scénario original. Si je devais adapter, ce serait de la littérature ancienne, non contemporaine. Je voudrais faire quelque chose d’intime, sur l’humain ».
Derrière le fantasme, derrière le mannequin, le beau-gosse à la bouche gourmande, il existe un homme aux sensibilités aigues et à la passion fouillée. Cinéphile, amoureux de Tarkovski et Bergman, Gaspard Ulliel aimerait tourner avec James Gray et Paul Thomas Anderson, deux cinéastes modernes aux univers forts et aux styles affirmés. Il tire son chapeau devant Leonardo Dicaprio, dont l’intelligence insaisissable lui a permis de se dévêtir des habits de jeune poupon et d’explorer des terres autrement plus variées : « Dicaprio est un modèle générationnel. Il parait qu’il écrit des préfaces de livres d’art contemporain. J’aimerais beaucoup discuter avec lui ». Enfin, il fait la révérence devant la soyeuse Kate Blanchett, dont il est « le premier fan ». Et si Kate le lui demandait, il habiterait aux States ? « Pourquoi pas. New-York me prend par les tripes, il se passe quelque chose dans cette ville. Scorsese rend très bien compte de cette impression dans « After Hours ».
La déité sera new-yorkaise ou ne sera pas !
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