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dimanche 31 juillet 2011

Le discours d'un roi: camera non oscura

Le discours d’un roi est un film très bien écrit, excellemment interprété, dont le thème original couillu est parfaitement assumé (la petite histoire du bégaiement dans la grande Histoire du début de la seconde guerre mondiale). Nous saluons cette réflexion subtile sur fond de fiction fantaisiste sur le pouvoir des mots. Seulement, voilà, il se trouve qu’un intrus est venu tirer les ficelles de la mise en scène. Et cet intrus - la caméra - décide de beaucoup.

L’œil qui filme les affres linguistiques du roi George VI est omniscient. Il est complice des personnages, imprégné de leur sentimentalité. La caméra de Tom Hooper est le narrateur bavard de cette histoire très symbolique et prédictible.

Quand le roi subit son frère, son père, sa mère, trop prompts à se railler de son handicap, la caméra est plongeante. Elle indique ainsi, assez lourdement, que le ressenti du roi est d’abord l’écrasement. Au fur et à mesure que sa majesté s’émancipe et gagne en confiance, la caméra se redresse, devient frontale, et finit par filmer en contre-plongée le discours final expiatoire. Ce mouvement vertical de prise de vue qui sert la subjectivité est très utilisé aux Etats-Unis. Il permet l’identification au personnage, un des ressorts favoris du cinéma américain.

Le discours du roi, en décidant d’avoir une caméra subjective, s’expose encore plus au risque de manichéisme déjà propre aux films en costumes focalisés sur un héro. Seul le fantaisisme aurait pu éviter ce manichéisme visuel (comme le fantaisisme des frères Cohen), mais la fantaisie du Discours d’un roi est trop timide (trop anglaise ?).

En ce qui concerne la subjectivité de la caméra, la question mérite d’être posée : quel est l’intérêt de tenter le spectateur de s’identifier à un roi bègue ? Est-il possible de laisser aller son empathie jusqu’au point de se prendre pour le père de l’actuelle reine Elisabeth ? La royauté n’est-elle pas justement appréciée (quand elle l’est) parce qu’elle force la distanciation ?

Autre exemple de parti-pris de la caméra : pour souligner la raideur de la royauté, les scènes en famille sont filmées en grand angle. L’image, statique, confère un sentiment d’austérité. Encore une fois, la caméra raconte une histoire que l’on connaît déjà.

Beaucoup de spectateurs ont déploré la prédictibilité du film. S’ils n’avaient pas été pris par la main par une caméra pédagogue, la visualisation du Discours d’un roi aurait certainement été plus épatante.

Heartbeats and the aesthetics of a generation

In addition to being a cinephile’s tribute (to Wong Kar Wai’s slow motion, Almodovar’s colors and Truffaut and Godard’s fashions…), Heartbeats is also a visual interpretation of modernity.


So familiar are we with the whole vintage phenomenon -through our peculiar excitement for the arcane and our glorifying of decline- that we sometimes forget to take notice of it. Not Xavier Dolan, a film genius who hails from Quebec. His camera, neither moralizing nor complacent, captures the hybrid aesthetic heritage of the present generation.

Dolan’s heroine, the disarming yet stylish Marie (played by Monia Chokri), embodies beautifully the meeting of past and modernity. She goes out, drinks, smokes, has all the concerns of a modern woman, and sleeps with men she despises. Through her passion for clothes and for 60s design, she is firmly rooted in the past. Her Paul&Joe-clad contemporaries mock her penchant for retro fashions: « They say I look like a 60s housewife », she tells her best friend Francis (played by Xavier Dolan himself). His answer: « Your dress is rather anachronistic ». She insists: « But it’s vintage! ». « Yeah, well, that doesn’t mean it looks good! ».

While Marie’s love of all things old is perhaps excessive (she sends a love letter sealed with wax), Francis embodies a more complex appropriation of the past. A James Dean wannabe with a dubious quiff, he wears London-preppy pants and Paul Smith sweaters. His style is subtly old-hat, but sufficiently pure to still be modern. His rigidity and freshness are reminiscent of Tom Ford’s darlings.

Marie and Francis are in love with the same man, Nicolas. Nicolas is not as trendy as them, with a shapeless t-shirt that droops over his shoulders and baggy trousers. He is the fallen angel, a fair-skinned pretty boy that Rohmer might have cast in (…) He comes from the back country, is immune to influences and is definitely the character whose appearance is the most timeless. The scene, in which Marie and Francis show each other their gifts for Nicolas (a straw hat and an orange cashmere sweater) symbolizes the transfer of influence through objects.

The variety of aesthetic infuences is even more potent in the sets: the kitsch backdrop of the hair salon where Francis tends to his quiff, the entrance of the old neighborhood theater, are in contrast with the grungy interiors of student apartments, louche Japanese restaurants and the blue disco wig of the girl who hits on Nicolas.

Knowing hommage to the New Wave or record of the retro habits of young people in the 21st century? The line is blurry. It is precisely the clash of filmic references that reveals in Dolan’s work an eclectic sense of aesthetics; a knowing synthesis of folk, pop, rock and electro. Of course, it is the portrait of group within a generation (urban hipsters), and in that sense it is limited. But in an epoch where design and fashion have become way mroe democratic, at a time when the turntable is rivalling the ipod, who really is safe from being labelled a retro-hipster?

jeudi 29 avril 2010

Coup de coeur DVD : You, The Living

You, The Living fait de brèves intrusions dans la vie d’une femme dépressive, d’une groupie triste, d’un couple qui s’engueule, de musiciens du dimanche, d’un laveur de carreau, d’un coiffeur… et de quelques autres « vivants ». Patchwork insolite de destins non héroïques, le film de Roy Andersson ne peut pas être enfermé dans un synopsis.

La mort rode auprès des vivants qu’observe Andersson : la scène de l’enterrement le matérialise, ainsi que l’allégorie beckettienne de la cloche que sonne un barman pour inviter ses clients à passer leur « dernière commande »… Et, parce que les tragédies humaines sont en réalité souvent loufoques, la mort côtoie l’humour. Le film réserve quelques francs fous rires.

Les choix artistiques d’Andersson servent un paradoxe original : les personnages, véritables automates, se révèlent aussi bouleversants d’humanité. Les décors foisonnent de détails de vie, les couleurs pastel renforcent le sentiment de lassitude et de flegme des « vivants », la bande-son crie leur vide intérieur... Mais la caméra, distante, ne s’approche jamais du visage des acteurs et donc, finit par les uniformiser. Ce procédé prive le spectateur du réflexe d’empathie. Le constat de l’échec du vivre ensemble est rendu froidement.

Jacques Tati, Luis Buñuel, les Monty Python, Ingmar Bergman… La critique a attribué toutes les influences à l’énigmatique Roy Andersson, qui ne manque pourtant pas de style. Osons, pour participer à cette cacophonie cinéphile, le parallèle avec Emir Kusturica, dans leur choix partagé de traiter la mort par l’absurde et en musique. Singularité d’Andersson : la raideur de ses plans. Tellement raides, qu’ils évoquent des tableaux surréalistes. Le surréalisme est respecté jusque dans l’onirisme. Les scènes de rêve, racontées sous forme de monologues, sont l’occasion d’éclats poétiques (comme lors du mariage, dans le train).

Les phrases suspendues, les déchirements tamisés, les absurdités, les rendez-vous ratés, l’impunité des petites ignominies filmées, laissent un certain goût amer. Surtout lorsqu’Andersson livre sa vision du sauvetage humain : son atomisation. Mais le malaise est vite rattrapé par la certitude d’avoir rencontré un nouveau maître de l’universel.


Sortie DVD aux Etats-Unis, mars 2010

mardi 13 avril 2010

Inglorious Basterds

C’est un Tarantino en forme qui s’installe dans l’Europe de la seconde guerre mondiale pour y dérouler, sur fond d’holocauste, une chasse à l’homme triviale. Un groupe de soldats juifs spécialisés dans les actions brutales, « The Basterds », est envoyé en Europe pour effrayer les dirigeants du Troisième Reich. Ils sont accompagnés lors d’une mission en France par l’actrice allemande et agent double Bridget von Hammersmark (Diane Kruger)…Le film possède autant de maestria que les précédents et il est définitivement plus piquant.
Le casting hexagonal aurait dû nous emplir de fierté, mais la touche française est décevante. Mélanie Laurent est lisse, difficilement crédible dans la peau de la vengeresse-diablesse tarantinesque. Rassurons-là, il semble que le premier rôle offert aux françaises dans les grosses productions hollywoodiennes soit toujours un mauvais baptême (cf Cotillard dans Big Fish). Coté allemand, Diane Kruger, enfin fatale, libérée de ses rôles de pleureuse, incarne une actrice langoureuse convertie à l’espionnage. La métamorphose du tendre enfant de Goodbye Lenine, Daniel Bruhl, en héros de guerre opportuniste est réussie. Son personnage à la fois suppliant et menaçant colle aux paradoxes comportementaux chers à Tarantino. Brad Pitt tient la route, un peu figé dans sa grimace butée à la Snatch. Sa scène de l’escorte italienne est désopilante, à la fois minimaliste dans la gestuelle et caricaturale par essence. Dommage que les dialogues absurdes sentent le resservi (ça doit grincer des dents chez les Cohen). Mais il est impossible pour ces grands noms de rivaliser face au jubilatoire colonel nazi Hans Landa, magnifiquement interprété par Christophe Waltz. Son « Jew hunter » rythme le film, donne le ton. Ironiquement, Landa inspire, malgré la sophistication de ses manières, le sentiment attaché à ce qu’il dit pourchasser - le rat.
C’est donc sur des contradictions que Tarantino s’appuie pour brouiller les sentiments du spectateur. Et jusque dans l’esthétique : l'apesanteur autour de la nourriture, de la crème, du lait, de ces aliments chauds et rassurants, jure avec la réminiscence des bouillies crâniennes. Tarantino nous (re)dit, que le dégoût et l'appétit ne sont que de vulgaires perceptions. Le vrai génie d’Inglorious Basterds réside dans le mariage entre l'humanité de ses personnages (rendue à travers l'émotion dans les regards, la gestuelle - féline et théâtrale comme chez Almodovar) et l'absence totale de compassion pour leur sort : la caméra abandonne les protagonistes principaux sur le sol, morts, les uns après les autres. C'est comme si Tarantino s'obstinait à nous les rendre attachants, pour mieux s’amuser à les dégommer.
Autre parti-pris réussi : il n'y a aucune hiérarchie des personnages. Les premiers rôles n’ont pas une psychologie plus fouillée que les seconds, comme trop souvent dans le cinéma français aujourd’hui. C'est par le traitement égal des figures de son film que Tarantino resserre le scénario : la petite histoire (comme la grande) n'est qu'un prétexte à observer la chute d'un groupe, bloc soudé aux reliefs variés.
A part le petit bémol d’un casting français mou, il est possible de regretter une légère surenchère dans les genres cinématographiques : les éternels arrêts sur image et présentations manga, clins d’œil aux aficionados, sont trop épars et donc intrus. Le film reste brillant. Le public américain - new-yorkais - s’est montré particulièrement réceptif, convulsé par le rire pendant les scènes de scalp. Qui a dit que la violence était une catharsis ?

Gran Torino. La conquête d'Eastwood

L’allure crasse, la bouche en coin prête à mordre : c’est un Clint Eastwood désabusé qui explose l’écran de Gran Torino.
Ancien ouvrier chez Ford, vétéran moins énigmatique qu'antipathique, Walt Kowalski vient de perdre sa femme. Froissé avec ses deux fils aux profils désespérément conservateurs, Kowalski passe ses journées à éructer ses bières et sa haine pour le monde sur le parvis de sa maison de banlieue.
Son voisin Thao, fils cadet d'une famille Hmong voisine, est bizuté par un gang. Il doit relever le défi initiatique du vol de la fameuse Ford Gran Torino modèle 72 du vieux polonais Kowalski.Commence alors l’histoire touchante d’une réconciliation forcée entre un ex-tueur de Coréens et un docile asiatique à la croisée des chemins - tradition ou délinquance, son cœur balance. Réconciliation qui, sous forme de travaux de réhabilitation des toitures voisines et de rodage de Gran Torino, symbolise la refonte tardive d’un homme brisé. Passage de marteau.
La tartine de valeurs américaines puritaines satisfera les boulimiques de bons sentiments : la religion est mère d’absolution, l’amour est le remède au racisme, la famille est la seule raison qui vaille qu’on se batte, les femmes farouches restent fragiles, last but not least, le poncif du méchant qui est un faux-méchant vient parfaire le tableau.
Le film peut être légitimement taxé de larmoyant (Million Dollar Baby détient la palme en la matière), le trait étant parfois trop appuyé. Il n’en reste pas moins que Gran Torino frappe juste, parce qu'amplement fidèle à son ambition. Le style est celui d'un méli-mélo épuré. Une fois cela dit, on comprend que l'intérêt n'est pas dans le message (Eastwood est aux antipodes d'un Sean Penn engagé), mais dans une forme classique de cinéma efficace à l'humour grinçant et au suspens prudent.
A 78 ans, Eastwood trouve son jeu derrière sa caméra. Le rythme dont la lenteur maîtrisée nous conduit précautionneusement vers l’inéluctable, emporte le spectateur. Et surtout, la dénonciation d'une xénophobie à la limite du burlesque fait mouche : les scènes du bal des offrandes de nems par toutes les mamies Hmong et de l'apprentissage du "parlé-homme" sont un pur régal.
La réalisation à l’électrocardiogramme déclinant de Clint Eastwood trouve enfin un rebond enthousiasmant ; pas le rebond d’un Allen qui se renouvelle au point de renaître sous les traits d’un néo-hitchcockien, mais l'aboutissement d'un genre qui trouve là sa meilleure expression. L'assurance nouvelle du réalisateur de Mystic River lui permet de se libérer des sempiternels plans sur l'eau et d'un esthétisme souvent grandiloquent... Symptôme de cette nouvelle aisance : les hommages aux road movies et les clins d'œil aux monuments du cinéma américains sont nombreux (Kowalski est le nom de Brando dans Un tramway nommé Désir). Peut-être aussi le signe que le maître tire sa révérence…
Digne fils d’un irlandais, Eastwood fige son décor sous une lumière glacée, réduit les fioritures scéniques, et donne, timidement, dans la chronique sociale loachienne. Loin de la suavité de ses incarnations avec Leone, le héros de Gran Torino ne tient sous sa gâchette aucun truand sablonneux des pleines de l’Ouest, mais le chaos social du Middle East.