You, The Living fait de brèves intrusions dans la vie d’une femme dépressive, d’une groupie triste, d’un couple qui s’engueule, de musiciens du dimanche, d’un laveur de carreau, d’un coiffeur… et de quelques autres « vivants ». Patchwork insolite de destins non héroïques, le film de Roy Andersson ne peut pas être enfermé dans un synopsis.
La mort rode auprès des vivants qu’observe Andersson : la scène de l’enterrement le matérialise, ainsi que l’allégorie beckettienne de la cloche que sonne un barman pour inviter ses clients à passer leur « dernière commande »… Et, parce que les tragédies humaines sont en réalité souvent loufoques, la mort côtoie l’humour. Le film réserve quelques francs fous rires.
Les choix artistiques d’Andersson servent un paradoxe original : les personnages, véritables automates, se révèlent aussi bouleversants d’humanité. Les décors foisonnent de détails de vie, les couleurs pastel renforcent le sentiment de lassitude et de flegme des « vivants », la bande-son crie leur vide intérieur... Mais la caméra, distante, ne s’approche jamais du visage des acteurs et donc, finit par les uniformiser. Ce procédé prive le spectateur du réflexe d’empathie. Le constat de l’échec du vivre ensemble est rendu froidement.
Jacques Tati, Luis Buñuel, les Monty Python, Ingmar Bergman… La critique a attribué toutes les influences à l’énigmatique Roy Andersson, qui ne manque pourtant pas de style. Osons, pour participer à cette cacophonie cinéphile, le parallèle avec Emir Kusturica, dans leur choix partagé de traiter la mort par l’absurde et en musique. Singularité d’Andersson : la raideur de ses plans. Tellement raides, qu’ils évoquent des tableaux surréalistes. Le surréalisme est respecté jusque dans l’onirisme. Les scènes de rêve, racontées sous forme de monologues, sont l’occasion d’éclats poétiques (comme lors du mariage, dans le train).
Les phrases suspendues, les déchirements tamisés, les absurdités, les rendez-vous ratés, l’impunité des petites ignominies filmées, laissent un certain goût amer. Surtout lorsqu’Andersson livre sa vision du sauvetage humain : son atomisation. Mais le malaise est vite rattrapé par la certitude d’avoir rencontré un nouveau maître de l’universel.
Sortie DVD aux Etats-Unis, mars 2010