jeudi 29 avril 2010

Coup de coeur DVD : You, The Living

You, The Living fait de brèves intrusions dans la vie d’une femme dépressive, d’une groupie triste, d’un couple qui s’engueule, de musiciens du dimanche, d’un laveur de carreau, d’un coiffeur… et de quelques autres « vivants ». Patchwork insolite de destins non héroïques, le film de Roy Andersson ne peut pas être enfermé dans un synopsis.

La mort rode auprès des vivants qu’observe Andersson : la scène de l’enterrement le matérialise, ainsi que l’allégorie beckettienne de la cloche que sonne un barman pour inviter ses clients à passer leur « dernière commande »… Et, parce que les tragédies humaines sont en réalité souvent loufoques, la mort côtoie l’humour. Le film réserve quelques francs fous rires.

Les choix artistiques d’Andersson servent un paradoxe original : les personnages, véritables automates, se révèlent aussi bouleversants d’humanité. Les décors foisonnent de détails de vie, les couleurs pastel renforcent le sentiment de lassitude et de flegme des « vivants », la bande-son crie leur vide intérieur... Mais la caméra, distante, ne s’approche jamais du visage des acteurs et donc, finit par les uniformiser. Ce procédé prive le spectateur du réflexe d’empathie. Le constat de l’échec du vivre ensemble est rendu froidement.

Jacques Tati, Luis Buñuel, les Monty Python, Ingmar Bergman… La critique a attribué toutes les influences à l’énigmatique Roy Andersson, qui ne manque pourtant pas de style. Osons, pour participer à cette cacophonie cinéphile, le parallèle avec Emir Kusturica, dans leur choix partagé de traiter la mort par l’absurde et en musique. Singularité d’Andersson : la raideur de ses plans. Tellement raides, qu’ils évoquent des tableaux surréalistes. Le surréalisme est respecté jusque dans l’onirisme. Les scènes de rêve, racontées sous forme de monologues, sont l’occasion d’éclats poétiques (comme lors du mariage, dans le train).

Les phrases suspendues, les déchirements tamisés, les absurdités, les rendez-vous ratés, l’impunité des petites ignominies filmées, laissent un certain goût amer. Surtout lorsqu’Andersson livre sa vision du sauvetage humain : son atomisation. Mais le malaise est vite rattrapé par la certitude d’avoir rencontré un nouveau maître de l’universel.


Sortie DVD aux Etats-Unis, mars 2010

mercredi 28 avril 2010

Charlotte Gainsbourg aux US : leçon de dignité

La tournée américaine de Charlotte Gainsbourg s’est achevée au Webster Hall de New York le 25 avril. On y était, on a aimé. A quand son prochain album ?

Sincèrement, sans être mièvre, quand Charlotte Gainsbourg entre sur scène, quelque chose se passe. Exposée, sous les projecteurs, elle reste la fille évanescente, fragile et discrète que le cinéma nous a fait découvrir. Mais avec un supplément de charme : celui de la détermination. Une allure, sorte d’entêtement physique à ne pas vouloir céder à l’intimidation de la foule, la rend menaçante.

Elle attrape le micro et attaque avec l’opus Beck. Le public, majoritairement français, crie son nom. Inconsidérément. Parce que franchement, disons-le, sur les 2-3 premiers morceaux, elle n’est pas très sonore Charlotte. Les plus médisants diront qu’elle chante faux, parfois. Mais méfions-nous des désaccords et dissonances voulus par l’expérimental Beck, qui font d’ailleurs l’originalité de l’album… Heaven can wait la réveille, nous aussi.

Etrangement, l’émotion de sa voix transparait mieux dans l’interprétation de son précédent Album, façonné par Air. Le live offre des arrangements nouveaux à ces chansons plus mélodieuses. Les musiciens sidèrent de perfection, les arrangements sont hyper sophistiqués, les instruments se succèdent, insolites (carillons, maracas…), entêtants. Décidemment, Charlotte Gainsbourg est bien entourée.

L’émotion s’intensifie quand la belle rend hommage à son père, en revisitant Hotel Particulier de l’album Melody Nelson. Le gène est intact. Sauf que l’excès du Poinçonneur des Lilas, elle l’a transformé en retenue digne. Vêtue d’un pantalon en cuir, elle rougit souvent. Son aura transperce véritablement dans la deuxième partie du concert. Remerciements bien sentis, poses plus alanguies, clin d’œil à Bob Dylan... Les hommes du public, littéralement envoutés, plissent les yeux.

Le spectacle finit sur un "Couleur café" américanisé par l’accent de la divine Nicole qui accompagne Charlotte à la voix. Chanson dédicacée aux enfants et à la mère de l’artiste, dont on aperçoit le haut du crane à droite de la scène. Jane Birkin, sa fille prodige et ses petits enfants rentreront tous à Paris le lendemain, en famille.