Affichage des articles dont le libellé est Spectacles. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Spectacles. Afficher tous les articles

mercredi 28 avril 2010

Charlotte Gainsbourg aux US : leçon de dignité

La tournée américaine de Charlotte Gainsbourg s’est achevée au Webster Hall de New York le 25 avril. On y était, on a aimé. A quand son prochain album ?

Sincèrement, sans être mièvre, quand Charlotte Gainsbourg entre sur scène, quelque chose se passe. Exposée, sous les projecteurs, elle reste la fille évanescente, fragile et discrète que le cinéma nous a fait découvrir. Mais avec un supplément de charme : celui de la détermination. Une allure, sorte d’entêtement physique à ne pas vouloir céder à l’intimidation de la foule, la rend menaçante.

Elle attrape le micro et attaque avec l’opus Beck. Le public, majoritairement français, crie son nom. Inconsidérément. Parce que franchement, disons-le, sur les 2-3 premiers morceaux, elle n’est pas très sonore Charlotte. Les plus médisants diront qu’elle chante faux, parfois. Mais méfions-nous des désaccords et dissonances voulus par l’expérimental Beck, qui font d’ailleurs l’originalité de l’album… Heaven can wait la réveille, nous aussi.

Etrangement, l’émotion de sa voix transparait mieux dans l’interprétation de son précédent Album, façonné par Air. Le live offre des arrangements nouveaux à ces chansons plus mélodieuses. Les musiciens sidèrent de perfection, les arrangements sont hyper sophistiqués, les instruments se succèdent, insolites (carillons, maracas…), entêtants. Décidemment, Charlotte Gainsbourg est bien entourée.

L’émotion s’intensifie quand la belle rend hommage à son père, en revisitant Hotel Particulier de l’album Melody Nelson. Le gène est intact. Sauf que l’excès du Poinçonneur des Lilas, elle l’a transformé en retenue digne. Vêtue d’un pantalon en cuir, elle rougit souvent. Son aura transperce véritablement dans la deuxième partie du concert. Remerciements bien sentis, poses plus alanguies, clin d’œil à Bob Dylan... Les hommes du public, littéralement envoutés, plissent les yeux.

Le spectacle finit sur un "Couleur café" américanisé par l’accent de la divine Nicole qui accompagne Charlotte à la voix. Chanson dédicacée aux enfants et à la mère de l’artiste, dont on aperçoit le haut du crane à droite de la scène. Jane Birkin, sa fille prodige et ses petits enfants rentreront tous à Paris le lendemain, en famille.

mardi 13 avril 2010

Quartett, de Bob Wilson

Quand l’harassant poids du questionnement de la vie est balayé par deux heures de spectacle, c’est que le théâtre remplit son rôle. Lorsque licenciements, ruptures et endettements ne paraissent qu’artifices nous détournant de l’essentiel qui se joue là, devant nous et sur les planches, c’est que Bob Wilson est au programme du BAM.
Quartett embrase depuis le 1er novembre le public ébahi de Brooklyn. Un public français, sauvé du naufrage de l’avoir raté à l’Odéon de Paris, un public américain, prêt à ignorer les sous-titres pour ne pas rater un morceau de mise en scène. Comment l’enchantement opère-t-il ? Quand les miracles se rencontrent. Le miracle d’un texte dramaturgique à dimension philosophique saisissant de l’allemand Heiner Müller, qui réussit à pervertir l’histoire la plus perverse de la littérature : Les liaisons dangereuses de Laclos. Le miracle d’une comédienne, Isabelle Huppert, qui flirtait déjà avec la perfection dans ses rôles filmés de femme ennuyée, magnifiquement transfigurée en Merteuil vieillissante. Le miracle d’une mise en scène moderne si juste qu’elle en est douloureuse, Bob Wilson nous hypnotisant jusqu’à nous faire rire lorsqu’on voudrait pleurer.En 1986, Bob Wilson avait déjà adapté cette même pièce, dans un style alors moins Wilsonien.Quartett version 2009 raconte l’histoire des retrouvailles de Valmont – l’inégalable Ariel Garcia Valdès – et de la redoutable marquise de Mertueil.
La réflexion ici est moins tournée vers le badinage machiavélique - même si le vice opère encore - que vers l’usure des anciens amants à qui le jeu du cynisme amoureux ne suffit plus. Heiner Muller les rend pathétiques dans leur quête tarie de libertinage. La meilleure trouvaille de Bob Wilson est certainement la distanciation des personnages et du texte. Quand Valmont cherche à dépraver Cécile en la courtisant, Merteuil déclame le texte de Valmont, lequel répond à la place de Cécile.
Ainsi, pas de mimiques propres au genre dramatique, la finesse de la psychologie des personnages est rendue à travers la simple inversion des rôles. Merteuil contrôle Vermont, autant parler pour lui. Le choix de l’effacement de Cécile et de l’amant de Merteuil va jusque dans le mutisme. Leur existence sur scène est purement corporelle. Lorsque ces deux pantins dansent, les corps fluides et libres, Merteuil et Valmont n’en apparaissent que plus hiératiques. Dans Quartett le quatuor n’est qu’une surface donnée à voir aux « non-aveugles si mal lotis de ne pouvoir s’imaginer la vie » (extrait). En réalité, la pièce se joue en tête à tête. Et l’on suffoque.Autre élément de théâtre dans le théâtre : l’élocution. Le texte est répété lascivement plusieurs fois, comme si les acteurs s’entrainaient en scandant mécaniquement des paroles apprises par cœur. Ils ne manifestent aucune spontanéité dans le déroulé de leur plan d’action. Un témoin, vieil homme en chemise blanche aux allures de patient d’hôpital psychiatrique, évolue sur scène.
Les métiers de la scène sont réconciliés par Quartett. La musique sert la dureté des mots, l’éclairage parachève les traversées du décor. La danse et le mime contrastent merveilleusement avec la rigidité choisie des personnages. Le mot d’ordre de Wilson est le cisaillement, alors sa troupe cisaille. Des rumeurs de salle ont regretté la surenchère d’un tel mariage. Non, aimons Bob Wilson et soyons jusqu’auboutistes dans le style. Un seul bémol, quand même Mr Wilson : un symbolisme parfois trop racoleur dérobe au spectateur le plaisir de la fulguration. Avions-nous besoin du passage de deux poissons dans un bocal pour ressentir l’enfermement cérébral puis physique de Valmont et Mertueil ? La marche de la marquise vers son destin devait-elle se faire sur fond de toile blanche ? Je sais, je sais, parfois cela fait mouche. La métaphore filée de la chaussure – objet possiblement si féminin – est un bel exemple de réussite. Les acteurs en se déchaussant, ne tiennent plus debout et se préparent à la mort.