Cet été, le maire du quartier de Brooklyn, Marty Markowitz, aura sué plus que ses confrères new-yorkais. Son projet de création d’un amphithéâtre à Coney Island, dans le cadre des concerts gratuits de l’Asser Levy Park, fait l’objet d’une polémique politico-religieuse. Deux synagogues ont porté plainte contre la municipalité fin juin pour enfreinte à la Loi contre le bruit. Les plaignants entendent ainsi faire annuler les concerts en plein air et le projet de création d’amphithéâtre.
Crescendo de voix
Les concerts gratuits de l’éclectique festival Seaside Summer, organisé sous l’impulsion de Marty Markowitz depuis dix neuf ans, réunissent plus de 10 000 aficionados par an. Ce festival familial, situé dans L’Asser Levy Park, fait le bonheur des amateurs de pop, rock et salsa. Mais la communauté juive de Brooklyn-sud ne l’entend pas ainsi : les festivités perturbent son shabbat et l’exercice de ses services religieux. Si l’hostilité de la communauté à l’égard des concerts était constante ces dernières années, l’annonce faite au mois de mai de la construction d’un amphithéâtre capable d’accueillir 8 000 personnes dans l’Asser Levy Park, a fait l’effet d’un détonateur.
Cent cinquante manifestants réclamant l’annulation du projet se sont réunis à Coney Island le 16 mai. Une pétition contre la construction de l’amphithéâtre a circulé dès le mois de juin. En juillet, l’affaire a pris une tournure judiciaire : le défenseur des droits civiques Norman Siegel a porté plainte au nom des synagogues Temple Beth Abraham et Sea Breeze Jewish Center contre la municipalité de Brooklyn. Les deux fautes invoquées concernent le dépassement de la limite des décibels autorisés depuis la création du festival (15 décibels au lieu de 10) et le non respect de la distance minimale entre les concerts et les lieux de culte (106 mètres au lieu des 152 autorisés). La plainte de Siegel fait donc valoir l’illégalité des concerts organisés par le Marty Markowitz depuis 19 ans ! Le concert latino du 26 août s’est joué en sourdine, en attendant la décision de justice.
Marty Markowitz, qui affichait une humeur détachée devant la presse au début de l’été : « sommes-nous tous devenus puritains ? », voire provocatrice « les membres de la synagogue ne sont pas des avocats ! », refuse de s’exprimer depuis.
Les sirènes du pouvoir
Beaucoup de bruit pour rien ? Pas forcément. La querelle autour des concerts de Coney Island révèle des problèmes de vie sociale et politique aux enjeux profonds.
Il n’y aurait certainement pas eu de telles cacophonies si Michael Bloomberg n’avait pas modifié la loi contre le bruit pour secourir son ami Marty Markowitz. Quand Markowitz s’est tourné vers le maire de New-York le 25 juin, après les premières plaintes contre les concerts, Bloomberg a fait le choix de retirer temporairement la clause sur les 152 mètres de la loi contre le bruit. Cette décision a aussitôt été dénoncée comme un geste de favoritisme politique et d’abus de pouvoir. Or, Bloomberg avait fait savoir dès sa réélection en 2005, qu’il entendait se rapprocher de la communauté juive. L’été 2009 lui avait d’ailleurs donné l’occasion d’honorer sa promesse : il avait validé le retrait réclamé par la communauté juive de Williamsburg de la piste cyclable de Bedford Avenue. Selon les associations de défense de l’environnement rattachées à la mairie, l’argument sécuritaire du lobby juif dissimulait en réalité une prise de position morale contre le passage de femmes dénudées en vélo. L’été 2010 risque bien d’effacer la faveur de 2009.
Aucun des médias ayant couvert l’affaire n’a mentionné la question sous-jacente de la séparation des pouvoirs publics et de l’Eglise, question dont les Français se seraient immanquablement emparés. Les lobbys religieux peuvent-ils décider de l’aménagement urbain et de la politique culturelle d’une ville ? Seuls quelques internautes ont enfilé le bonnet républicain : « Et la séparation de l’Etat et de l’Eglise dans tout ça ? » s’exclame Steve sur thebrooklynpaper.com. « Les sirènes stridentes des synagogues retentissent violemment tous les vendredis après-midi, et je n’entame pas un procès ! », rajoute Tom. Le Brooklyn Paper, qui a publié 7 papiers en 3 mois sur cette affaire, est accusé par le Gothamist de prendre partie pour la communauté juive. Dans un article sur la controverse entre la communauté juive et Marty Markowitz, le New York Times titrait le 15 juillet : « Bringing Fun to Brooklyn! ».
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