dimanche 31 juillet 2011

L'égo dans le frigo

Le réfrigérateur a des allures de placard cubique blanc et froid. Des allures seulement. En réalité, cette machine est une conteuse d’histoires. La photographe Stéphanie de Rougé a découvert qu’ouvrir et observer le réfrigérateur de quelqu’un revient à faire sa radiographie, dépecer son intimité, dresser son portrait psychologique. Montre-moi ton réfrigérateur et je te dirai qui tu es.

Les tons roses de la photographie de la famille suédoise Englund se retrouvent à l’intérieur de leur réfrigérateur ; Aurore François affiche un camaïeu de bleu dans sa garde-robe et… dans son réfrigérateur. Timothée Spitzer a un réfrigérateur aussi parfaitement rangé que sa chemise est bien repassée… La série de photographies « In Your Fridge » de Stéphanie de Rougé, tirée de son étude (« In Your… ») sur l’intimité dans les grandes villes, ne manque pas de pittoresque.

La modernité enfante de bien étranges phénomènes ! Il semblerait qu’à notre époque, dans les espaces urbains, il n’y ait pas d’objet plus impudique que le « frigo ». « Beaucoup de gens préfèreraient mille fois montrer leur sous-vêtements que de montrer l’intérieur de leur réfrigérateur ! », s’exclame la nutritionniste Marissa Lippert, quand nous lui apprenons que Stéphanie a essuyé de nombreux refus en photographiant les réfrigérateurs. « Le réfrigérateur est un coffre privé : il a une porte opaque, fermée, qui le sépare du reste de la pièce. L’ouvrir revient à s’exposer aux critiques, et qui aime cela ? », surenchérit Paulette Goddard, professeur au département Nutrition de la New York Univertsity. Ceux qui ont accepté d’ouvrir les portes de leur réfrigérateur se sont d’ailleurs immédiatement justifiés : « je n’ai pas eu le temps de faire les courses cette semaine », « je pars bientôt en vacances », ...

Pourquoi tant de gêne lorsqu’il s’agit de ce que nous mangeons ? « Le sentiment de culpabilité est inextricablement lié à la nourriture », explique la psychologue Andrea Jewell, spécialiste des troubles alimentaires. « Surtout chez les jeunes mamans, puisqu’elles ont le rôle symbolique de mères nourricières. Le nombre de théories sur le régime applicable aux nourrissons est symptomatique de cette peur de mal faire ».

La culpabilisation autour de la nourriture se retrouve aussi dans l’espace public. Et la question de l’alimentation, à travers les thèmes médiatisés de l’obésité ou de la nourriture bio, flirte avec la responsabilité civile. L’heure est à l’éducation des citoyens, comme avec la campagne « Mangez Bougez ! 5 fruits et légumes par jour ». Or, la réalité du quotidien des citadins s’oppose à cette politique : ils ont de moins en moins le temps – quand ils ont l’argent ! – de faire des courses équilibrées et de cuisiner. Et les consommateurs répondent au stimulus du marketing des entreprises de l’agro-alimentaire. Marketing qui renvoie vers des produits peu variés et prêts à consommer.

L’imprégnation de notre alimentation et de nos passions est bel et bien réelle. Erika Lade, inscrite au programme Food Studies de Paulette Goddard, explique que la recherche en sociologie alimentaire est un exercice passionnant et passionné : « Pendant les cours du Master, même quand l’approche du professeur est scientifique, les étudiants racontent leur vie. La question de la nourriture est tellement intense ! Elle est lié à notre passé, à nos sensibilités ».

Tous les spécialistes insistent sur l’émotion qui entoure l’acte de l’alimentation, sur sa « sensualité ». Cuisiner est un acte sensuel. Toucher la nourriture, la transformer, donner du goût… Partager cette nourriture est sensuel. La linguistique n’accorde-t-elle pas aux mélanges des saveurs des vertus « orgasmiques » ? Stéphanie de Rougé a trouvé des mots d’amour sur des post-its dans des réfrigérateurs français. Charmaine Landicho-Baechle, Philippino-Suisse extravagante de 38 ans qui vit à New York, a érigé un véritable autel à l’amour dans son réfrigérateur : une poupée Barbie nue prend le thé avec des porte-bonheur en forme de coccinelle ! « C’est un clin d’œil quotidien à l’homme que j’aime », explique-t-elle.

Alors qu’elle est nutritionniste (et non psychologue), Marissa Lippert avance que 80 % du temps ses patients lui racontent des détails personnels de leur vie. La psychologue Andrea Jewell précise que même les patients qui n’ont pas de troubles liés à l’alimentation se retrouvent à parler de leur comportement alimentaire. Le rapport à la nourriture dans nos sociétés serait obsessionnel. Et les réfrigérateurs racontent ces histoires d’obsessions.

« J’ai rencontré des patients qui classaient leur frigo par couleur ou par familles de calories », raconte Andrea Jewell. Pellicules photos, parfums, médicaments sont des objets qui se trouvent souvent dans les réfrigérateurs, pour des raisons de préservation. Les vêtements d’Aurore François, créatrice de bijoux à Paris, côtoient un pamplemousse. La soie et le cachemire se conservent mieux au frais. Les fantaisies se déclinent, plus ou moins insolites : passeport (pour être sûr de ne pas le perdre), carte bleue (pour ne plus dépenser), drogues, Viagra, miroir, … Pas étonnant que notre placard à lubies finisse par nous ressembler, jusque dans l’esthétisme. Et quand nous croyions avoir accouché d’un paradigme révolutionnaire - « donc le réfrigérateur est le miroir de l’âme ! » - Paulette Goddard nous refroidit. « Ah bon, vous croyez aux âmes vous ? ».


Article paru dans Le Monde Magazine.

Le discours d'un roi: camera non oscura

Le discours d’un roi est un film très bien écrit, excellemment interprété, dont le thème original couillu est parfaitement assumé (la petite histoire du bégaiement dans la grande Histoire du début de la seconde guerre mondiale). Nous saluons cette réflexion subtile sur fond de fiction fantaisiste sur le pouvoir des mots. Seulement, voilà, il se trouve qu’un intrus est venu tirer les ficelles de la mise en scène. Et cet intrus - la caméra - décide de beaucoup.

L’œil qui filme les affres linguistiques du roi George VI est omniscient. Il est complice des personnages, imprégné de leur sentimentalité. La caméra de Tom Hooper est le narrateur bavard de cette histoire très symbolique et prédictible.

Quand le roi subit son frère, son père, sa mère, trop prompts à se railler de son handicap, la caméra est plongeante. Elle indique ainsi, assez lourdement, que le ressenti du roi est d’abord l’écrasement. Au fur et à mesure que sa majesté s’émancipe et gagne en confiance, la caméra se redresse, devient frontale, et finit par filmer en contre-plongée le discours final expiatoire. Ce mouvement vertical de prise de vue qui sert la subjectivité est très utilisé aux Etats-Unis. Il permet l’identification au personnage, un des ressorts favoris du cinéma américain.

Le discours du roi, en décidant d’avoir une caméra subjective, s’expose encore plus au risque de manichéisme déjà propre aux films en costumes focalisés sur un héro. Seul le fantaisisme aurait pu éviter ce manichéisme visuel (comme le fantaisisme des frères Cohen), mais la fantaisie du Discours d’un roi est trop timide (trop anglaise ?).

En ce qui concerne la subjectivité de la caméra, la question mérite d’être posée : quel est l’intérêt de tenter le spectateur de s’identifier à un roi bègue ? Est-il possible de laisser aller son empathie jusqu’au point de se prendre pour le père de l’actuelle reine Elisabeth ? La royauté n’est-elle pas justement appréciée (quand elle l’est) parce qu’elle force la distanciation ?

Autre exemple de parti-pris de la caméra : pour souligner la raideur de la royauté, les scènes en famille sont filmées en grand angle. L’image, statique, confère un sentiment d’austérité. Encore une fois, la caméra raconte une histoire que l’on connaît déjà.

Beaucoup de spectateurs ont déploré la prédictibilité du film. S’ils n’avaient pas été pris par la main par une caméra pédagogue, la visualisation du Discours d’un roi aurait certainement été plus épatante.

Heartbeats and the aesthetics of a generation

In addition to being a cinephile’s tribute (to Wong Kar Wai’s slow motion, Almodovar’s colors and Truffaut and Godard’s fashions…), Heartbeats is also a visual interpretation of modernity.


So familiar are we with the whole vintage phenomenon -through our peculiar excitement for the arcane and our glorifying of decline- that we sometimes forget to take notice of it. Not Xavier Dolan, a film genius who hails from Quebec. His camera, neither moralizing nor complacent, captures the hybrid aesthetic heritage of the present generation.

Dolan’s heroine, the disarming yet stylish Marie (played by Monia Chokri), embodies beautifully the meeting of past and modernity. She goes out, drinks, smokes, has all the concerns of a modern woman, and sleeps with men she despises. Through her passion for clothes and for 60s design, she is firmly rooted in the past. Her Paul&Joe-clad contemporaries mock her penchant for retro fashions: « They say I look like a 60s housewife », she tells her best friend Francis (played by Xavier Dolan himself). His answer: « Your dress is rather anachronistic ». She insists: « But it’s vintage! ». « Yeah, well, that doesn’t mean it looks good! ».

While Marie’s love of all things old is perhaps excessive (she sends a love letter sealed with wax), Francis embodies a more complex appropriation of the past. A James Dean wannabe with a dubious quiff, he wears London-preppy pants and Paul Smith sweaters. His style is subtly old-hat, but sufficiently pure to still be modern. His rigidity and freshness are reminiscent of Tom Ford’s darlings.

Marie and Francis are in love with the same man, Nicolas. Nicolas is not as trendy as them, with a shapeless t-shirt that droops over his shoulders and baggy trousers. He is the fallen angel, a fair-skinned pretty boy that Rohmer might have cast in (…) He comes from the back country, is immune to influences and is definitely the character whose appearance is the most timeless. The scene, in which Marie and Francis show each other their gifts for Nicolas (a straw hat and an orange cashmere sweater) symbolizes the transfer of influence through objects.

The variety of aesthetic infuences is even more potent in the sets: the kitsch backdrop of the hair salon where Francis tends to his quiff, the entrance of the old neighborhood theater, are in contrast with the grungy interiors of student apartments, louche Japanese restaurants and the blue disco wig of the girl who hits on Nicolas.

Knowing hommage to the New Wave or record of the retro habits of young people in the 21st century? The line is blurry. It is precisely the clash of filmic references that reveals in Dolan’s work an eclectic sense of aesthetics; a knowing synthesis of folk, pop, rock and electro. Of course, it is the portrait of group within a generation (urban hipsters), and in that sense it is limited. But in an epoch where design and fashion have become way mroe democratic, at a time when the turntable is rivalling the ipod, who really is safe from being labelled a retro-hipster?

Rencontre avec Romain Bernadie James

Photographe pour Technikart et Jalouse, portraitiste hors pair, Romain Bernardie James planque sa pudeur dans son appareil. Il en ressort une grande franchise et une mélancolie dans ses clichés. On aime les envies de voyage et les facéties de Romain. Rencontre avec un affranchi en quête… d’Opinel.

Qu’est-ce qui t’attire dans la mode ?

Romain Bernardie James : Bah les mannequins, le champagne, la drogue et les blogs bien sûr… Plus sérieusement, la mode, j’en suis revenu. J’ai travaillé dans des compagnies très impliquées dans la mode, pour des magazines de mode. Aujourd’hui je prends un peu de recul sur tout cela. Je ne suis pas dépendant financièrement de tel magazine ou de telle marque qui m’appellerait pour faire un lookbook ou une série. Désormais j’ai ma propre compagnie, donc je peux faire plus de choses que j’aime vraiment (comme prendre des photos de vieilles bécanes, faire du documentaire et traiter des sujets avec plus de profondeur). Je fais encore des commandes commerciales de temps en temps pour le fun, mais ce n’est pas ma priorité.

Le projet And We Drink And Drown, c’est quoi ?

R. B. J. : C’est un petit blog où je poste un peu de ma vie de tous les jours et les projets en cours. C’est aussi un petit livre avec des cartes postales qui a été édité par Ofr l’année dernière.

Tes modèles féminins semblent assez autoritaires. La femme moderne fait peur ?

R. B. J. : Oui! C’est là toute la fonction intéressante de la mode !

Quel est l’artiste en qui tu aimerais te réincarner ?

R. B. J. : Je suis catholique, je veux juste profiter de tout ce que Dieu a prévu pour moi là haut si je suis bien sage… Par contre j’espère que les artistes que j’admire ont été sages aussi et qu’on pourra un peu discuter ensemble, après la vie.

L’endroit que tu rêves de photographier ?

R. B. J. : C’est fluctuant, mais en ce moment je regarde beaucoup l’Islande sur les sites de voyage…

L’objet de ton désir ?

R. B. J. : Je suis un grand fétichiste. Je fétichise particulièrement sur les livres et plein de petits objets anciens. J’aimerais bien avoir un couteau que quelqu’un aurait sculpté pour moi. Mon grand-père faisait ça quand j’étais enfant : à tous les gens qui lui rendaient service, il sculptait le manche d’un couteau Opinel. Mais malgré tous les après-midis que j’ai passé à l’aider, mon grand-père ne m’en a jamais sculpté un pour moi. C’est donc devenu un objet symbolique que j’aimerais vraiment posséder.

Si tu vivais aux Etats-Unis : New York ou San Francisco ?

Plutôt une petite maison un peu en retrait de Los Angeles où je pourrais inviter mes amis et vivre en autarcie.

PAS : Où peut-on te trouver le lundi matin à 8h ?

Si tu as vraiment de la chance, à mon bureau. Quand tu ouvres la porte, c’est celui qui est sur la gauche, je suis là regarde, avec mon thé et mes croissants.