mardi 13 avril 2010

Gran Torino. La conquête d'Eastwood

L’allure crasse, la bouche en coin prête à mordre : c’est un Clint Eastwood désabusé qui explose l’écran de Gran Torino.
Ancien ouvrier chez Ford, vétéran moins énigmatique qu'antipathique, Walt Kowalski vient de perdre sa femme. Froissé avec ses deux fils aux profils désespérément conservateurs, Kowalski passe ses journées à éructer ses bières et sa haine pour le monde sur le parvis de sa maison de banlieue.
Son voisin Thao, fils cadet d'une famille Hmong voisine, est bizuté par un gang. Il doit relever le défi initiatique du vol de la fameuse Ford Gran Torino modèle 72 du vieux polonais Kowalski.Commence alors l’histoire touchante d’une réconciliation forcée entre un ex-tueur de Coréens et un docile asiatique à la croisée des chemins - tradition ou délinquance, son cœur balance. Réconciliation qui, sous forme de travaux de réhabilitation des toitures voisines et de rodage de Gran Torino, symbolise la refonte tardive d’un homme brisé. Passage de marteau.
La tartine de valeurs américaines puritaines satisfera les boulimiques de bons sentiments : la religion est mère d’absolution, l’amour est le remède au racisme, la famille est la seule raison qui vaille qu’on se batte, les femmes farouches restent fragiles, last but not least, le poncif du méchant qui est un faux-méchant vient parfaire le tableau.
Le film peut être légitimement taxé de larmoyant (Million Dollar Baby détient la palme en la matière), le trait étant parfois trop appuyé. Il n’en reste pas moins que Gran Torino frappe juste, parce qu'amplement fidèle à son ambition. Le style est celui d'un méli-mélo épuré. Une fois cela dit, on comprend que l'intérêt n'est pas dans le message (Eastwood est aux antipodes d'un Sean Penn engagé), mais dans une forme classique de cinéma efficace à l'humour grinçant et au suspens prudent.
A 78 ans, Eastwood trouve son jeu derrière sa caméra. Le rythme dont la lenteur maîtrisée nous conduit précautionneusement vers l’inéluctable, emporte le spectateur. Et surtout, la dénonciation d'une xénophobie à la limite du burlesque fait mouche : les scènes du bal des offrandes de nems par toutes les mamies Hmong et de l'apprentissage du "parlé-homme" sont un pur régal.
La réalisation à l’électrocardiogramme déclinant de Clint Eastwood trouve enfin un rebond enthousiasmant ; pas le rebond d’un Allen qui se renouvelle au point de renaître sous les traits d’un néo-hitchcockien, mais l'aboutissement d'un genre qui trouve là sa meilleure expression. L'assurance nouvelle du réalisateur de Mystic River lui permet de se libérer des sempiternels plans sur l'eau et d'un esthétisme souvent grandiloquent... Symptôme de cette nouvelle aisance : les hommages aux road movies et les clins d'œil aux monuments du cinéma américains sont nombreux (Kowalski est le nom de Brando dans Un tramway nommé Désir). Peut-être aussi le signe que le maître tire sa révérence…
Digne fils d’un irlandais, Eastwood fige son décor sous une lumière glacée, réduit les fioritures scéniques, et donne, timidement, dans la chronique sociale loachienne. Loin de la suavité de ses incarnations avec Leone, le héros de Gran Torino ne tient sous sa gâchette aucun truand sablonneux des pleines de l’Ouest, mais le chaos social du Middle East.

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