vendredi 19 novembre 2010

Romain Duris aux Etats-Unis : « Les rôles de French Lover ne m’intéressent pas »

A 36 ans, Romain Duris fait l’objet d’une rétrospective au prestigieux BAM de New York. Les contrastés « Chacun cherche son chat », « Le péril jeune » et « De battre mon cœur s’est arrêté », y seront diffusés fin août-début septembre. Nous avons rencontré Romain Duris à l’occasion de l’avant-première new-yorkaise de l’Arnacoeur, qui sortira en salle aux Etats-Unis le mois prochain. Naturel et facétieux, le self-made actor nous a livré ses craintes et ses rêves… américains.

Quelle difficulté vous a posé le rôle d’Alex dans l’« Arnacœur » ?

Romain Duris : Pascal Chaumeil a eu l’intelligence de se servir des tempéraments des acteurs pour faire vivre chaque moment de son film. Nous avons donc tâché de donner corps aux personnages. J’ai cherché à casser le côté formaté de cette comédie. Nous ne voulions pas d’une comédie calibrée, écrite pour faire rire.

Les comédies romantiques américaines sont souvent grandiloquentes. Ne craignez-vous pas que « Heartbreaker » made in USA soit excessif ?

Romain Duris : Un des auteurs du scénario, Jeremy Doner, est américain. Donc un remake de « L’Arnacœur » par les américains, dans ces conditions, est un simple retour à l’envoyeur ! Je ne sais pas si le film sera moins fin dans sa version américaine. Le film de Pascal Chaumeil, s’il n’est pas parfait, a un vrai charme, une perception. Il a été tourné sur le vif : c’est le film d’un moment. Vouloir recréer une fraîcheur, une humeur, est particulièrement difficile. Faudra-t-il que la reconstitution soit fidèle aux petites erreurs de l’original pour conserver la même fébrilité, la même spontanéité ? Je suis pressé de voir ce que cela va donner. Mais je ne me fais pas trop de soucis quand même. Les américains sont doués et capables de tout. Le sens du rythme, l’efficacité du thriller, sont leur fort. La seule restriction que je peux émettre à l’idée d’un remake, même si ce projet ne m’implique pas directement, concerne le temps. Peut-être est-il un peu tôt pour se lancer dans un remake. J’aime voir des réadaptations quelques années après la sortie de l’original, pour laisser au film de temps de murir, d’être digéré.

Etes-vous déjà sollicité par des producteurs américains ?

Romain Duris : Oui, mais jusqu’à présent, rien ne m’a convaincu. Je regrette qu’on ne me propose que des rôles de French Lovers qui ne m’intéressent pas. Ce que j’aime dans un personnage, c’est sentir, à partir du scripte, qu’il peut évoluer. Sentir qu’il reste un peu à créer, que je vais pouvoir mêler à la personnalité du personnage un bout de ma personnalité.

Si vous pouviez tourner avec un réalisateur américain, lequel choisiriez-vous ?

Romain Duris : Il y en a tant… Si je suis mes rêves, je dirais les frères Cohen, James Gray et Martin Scorsese. C’est vrai, après tout, on peut rêver.

Quelle est la comédie sentimentale américaine qui vous a influencé ?

Romain Duris : « La vie est belle » de Franck Capra, sans hésiter.
Qui sont vos mentors dans la profession ? Qui vous a appris votre métier ?

Romain Duris : Dans l’ordre : Klapisch, Audiard, Honoré et Chéreau. J’ai beaucoup de chance, j’ai tourné avec des réalisateurs qui m’ont tous allumé !

Quelle est votre actualité ?

Romain Duris : En ce moment, je répète au théâtre la pièce de Koltès, mise en scène par Patrice Chéreau, « La nuit juste avant les forêts ». L’année prochaine je tournerai dans le nouveau film de Pascal Chaumeil « Vivre, c’est mieux que mourir ».

La municipalité de Brooklyn attaquée en justice par deux synagogues

Cet été, le maire du quartier de Brooklyn, Marty Markowitz, aura sué plus que ses confrères new-yorkais. Son projet de création d’un amphithéâtre à Coney Island, dans le cadre des concerts gratuits de l’Asser Levy Park, fait l’objet d’une polémique politico-religieuse. Deux synagogues ont porté plainte contre la municipalité fin juin pour enfreinte à la Loi contre le bruit. Les plaignants entendent ainsi faire annuler les concerts en plein air et le projet de création d’amphithéâtre.

Crescendo de voix

Les concerts gratuits de l’éclectique festival Seaside Summer, organisé sous l’impulsion de Marty Markowitz depuis dix neuf ans, réunissent plus de 10 000 aficionados par an. Ce festival familial, situé dans L’Asser Levy Park, fait le bonheur des amateurs de pop, rock et salsa. Mais la communauté juive de Brooklyn-sud ne l’entend pas ainsi : les festivités perturbent son shabbat et l’exercice de ses services religieux. Si l’hostilité de la communauté à l’égard des concerts était constante ces dernières années, l’annonce faite au mois de mai de la construction d’un amphithéâtre capable d’accueillir 8 000 personnes dans l’Asser Levy Park, a fait l’effet d’un détonateur.

Cent cinquante manifestants réclamant l’annulation du projet se sont réunis à Coney Island le 16 mai. Une pétition contre la construction de l’amphithéâtre a circulé dès le mois de juin. En juillet, l’affaire a pris une tournure judiciaire : le défenseur des droits civiques Norman Siegel a porté plainte au nom des synagogues Temple Beth Abraham et Sea Breeze Jewish Center contre la municipalité de Brooklyn. Les deux fautes invoquées concernent le dépassement de la limite des décibels autorisés depuis la création du festival (15 décibels au lieu de 10) et le non respect de la distance minimale entre les concerts et les lieux de culte (106 mètres au lieu des 152 autorisés). La plainte de Siegel fait donc valoir l’illégalité des concerts organisés par le Marty Markowitz depuis 19 ans ! Le concert latino du 26 août s’est joué en sourdine, en attendant la décision de justice.

Marty Markowitz, qui affichait une humeur détachée devant la presse au début de l’été : « sommes-nous tous devenus puritains ? », voire provocatrice « les membres de la synagogue ne sont pas des avocats ! », refuse de s’exprimer depuis.

Les sirènes du pouvoir

Beaucoup de bruit pour rien ? Pas forcément. La querelle autour des concerts de Coney Island révèle des problèmes de vie sociale et politique aux enjeux profonds.
Il n’y aurait certainement pas eu de telles cacophonies si Michael Bloomberg n’avait pas modifié la loi contre le bruit pour secourir son ami Marty Markowitz. Quand Markowitz s’est tourné vers le maire de New-York le 25 juin, après les premières plaintes contre les concerts, Bloomberg a fait le choix de retirer temporairement la clause sur les 152 mètres de la loi contre le bruit. Cette décision a aussitôt été dénoncée comme un geste de favoritisme politique et d’abus de pouvoir. Or, Bloomberg avait fait savoir dès sa réélection en 2005, qu’il entendait se rapprocher de la communauté juive. L’été 2009 lui avait d’ailleurs donné l’occasion d’honorer sa promesse : il avait validé le retrait réclamé par la communauté juive de Williamsburg de la piste cyclable de Bedford Avenue. Selon les associations de défense de l’environnement rattachées à la mairie, l’argument sécuritaire du lobby juif dissimulait en réalité une prise de position morale contre le passage de femmes dénudées en vélo. L’été 2010 risque bien d’effacer la faveur de 2009.
Aucun des médias ayant couvert l’affaire n’a mentionné la question sous-jacente de la séparation des pouvoirs publics et de l’Eglise, question dont les Français se seraient immanquablement emparés. Les lobbys religieux peuvent-ils décider de l’aménagement urbain et de la politique culturelle d’une ville ? Seuls quelques internautes ont enfilé le bonnet républicain : « Et la séparation de l’Etat et de l’Eglise dans tout ça ? » s’exclame Steve sur thebrooklynpaper.com. « Les sirènes stridentes des synagogues retentissent violemment tous les vendredis après-midi, et je n’entame pas un procès ! », rajoute Tom. Le Brooklyn Paper, qui a publié 7 papiers en 3 mois sur cette affaire, est accusé par le Gothamist de prendre partie pour la communauté juive. Dans un article sur la controverse entre la communauté juive et Marty Markowitz, le New York Times titrait le 15 juillet : « Bringing Fun to Brooklyn! ».

lundi 23 août 2010

Les oiseaux ne chantent pas la nuit

Cet été, Hollywood s’est installé à Denmark, dans le Maine. L’actrice Karen Black, qui vient de fêter ses 71 ans, a pris la route vers l’Est pour tourner dans son 145ième long métrage. Film indépendant réalisé par Jamie Hook, How Life Should Be (titre provisoire) traite de la réunion fortuite dans une forêt entre une mère (Karen Black), sa fille (Sarah Paul), sa petite fille (Ivy Hook). Notre équipe a assisté au tournage de ce film onirique, rythmé par les humeurs de la flamboyante Black, aussi précieuse que baroudeuse.

Karen Black. Son nom résonne comme une légende du cinéma. Pourtant, certains – jeunes - Européens ont du mal à la situer. Si elle n’a pas décroché de rôles véritablement premiers, Karen Black a une filmographie à faire pâlir les divas d’Hollywood. Elle a tourné tous les ans, sans exception, depuis 1959. Parmi ceux qui l’ont dirigé, on compte : Francis Ford Copolla, Dennis Hopper, Arthur Miller, Alfred Hitchcock. Un coup d’œil à son visage si particulier (synthèse entre les traits de Lea Massari et de Fanny Ardant) nous rappelle qu’elle donne la réplique à Charlton Heston dans 747 en Péril, à Jack Nicholson dans Easy Rider et Five Easy Pieces (nomination aux Oscars), à Omar Sharif dans Crime et Passion, à Robert Redford dans le mythique Gasby le magnifique… Elle parfait le casting de Nashville de Robert Altman en 1976, en interprétant l’inoubliable chanson de country « Memphis », d’après sa propre composition. En 1979, elle tourne dans L’invasion des Piranhas qui fait d’elle une star (stigmatisée ?) du film d’horreur : La vengeance des monstres en 1987, La maison des milles morts en 2003, etc... Elle ne boude pas, non plus, les séries télés (apparition dans Deux flics à Miami en 1989 !).

Quand Karen rencontre Louise

En 2010, Karen Black choisit de donner vie à Louise, personnage coloré, imaginé par la femme du réalisateur, l’auteur Sarah Hook. Pour prendre le temps de se muer en Louise, Karen s’est rendue sur les lieux du tournage de How Life Should Be deux semaines à l’avance et s’est faite appeler Louise par l’équipe du film. « C’est du Louise tout craché !», s’est-elle exclamée à plusieurs reprises, à propos de son double. Le scénario oppose Louise à sa fille, Holly. Holly, incarnée par la tonique Sarah Paul, reproche à Louise de l’avoir abandonnée, plus jeune et se voit reprocher par sa propre fille Iris d’avoir caché l’existence de sa grand-mère… Le nœud narratif est un non-évènement : personne n’est venu à la réunion familiale annuelle dans la forêt, sauf Holly, Louise – étonnamment, puisqu’elle n’est jamais invitée – et Michael qui n’est même pas de la famille. Cet étranger romantique, interprété par le méticuleux Peter Pants, a utilisé l’invitation de son ex-petite amie qu’il veut demander en mariage. Il sera l’élément catalyseur d’une reconstruction. Ce prétexte narratif, presque absurde, permet en réalité d’observer le processus de rapprochement d’une famille, dans un lieu qui sert d’allégorie au foyer : la forêt. Près d’une maison tombée en désuétude, Holly, Michael et Iris font connaissance. Louise gravite autour d’eux, avec la malice et la fragilité des femmes épicuriennes qui portent le poids d’un échec sentimental. Quand on demande à Karen pourquoi elle a accepté ce rôle, elle s’anime : « le personnage de Louise m’émeut. Elle est si drôle. Je choisis toujours de jouer dans des films qui m’amusent ».

Le fard des stars

Sur le tournage, l’attention que Karen Black porte à ses yeux de lynx est saisissante. En dessinant les contours de son œil sur une feuille de papier, afin que la maquilleuse comprenne qu’il s’agit d’un art, elle donne forme à sa vanité : un trait noir, ondulant au-dessus des cils, doit allonger le regard ; de faux cils dissimulent cette courbe qui vient rejoindre une ligne inférieure tracée jusqu’à la pointe extérieure de l’œil ; une ombre noire, inscrite par un fin pinceau trempé dans une eau floutée, donne de la profondeur aux paupières... Son maquillage, masque de star qui a fondu sur le masque de femme, la fige. Karen Black donne l’impression d’être éternelle. Elle entretient son visage comme un trésor inca, restauratrice de sa propre figure mythique. Elle porte les cheveux longs, en cascade sur ses épaules solides de lionne californienne. Les odeurs de poudrier et de Cologne nous rappellent qu’un bout d’Hollywood a voyagé avec elle. Par moments, elle s’inquiète de sa bonne relation avec le réalisateur – éternel badinage entre les artistes et leur muse... Mais Jamie Hook fouette d’autres chats, avec la poigne qui fait de lui l’homme de la situation.

Ensorcelée par Karen, l’équipe technique s’efface quand elle arrive ; moins par servilité, que par curiosité. Elle va prendre des poses de professeur de yoga, chanter « Moon River », modifier le scripte, faire courir costumière et productrice… L’humeur de Karen Black est imprévisible. Mais quand elle décide d’être facétieuse, il lui faut moins d’un quart de seconde pour déclencher le rire en cernant intelligemment l’ironie des situations. Surtout, elle a le plus beau sourire du monde, qui fait qu’on l’aime instantanément, quand elle a décidé d’être aimée.

Un soir, après une semaine de tournage, fatiguée par les prises d’une scène éprouvante, Karen évoque sa rencontre avec un oiseau : « Une nuit, au fond de mon jardin de Los Angeles, un oiseau est venu siffler des chansons. Vous savez, les oiseaux ne chantent pas la nuit. Il était venu pour moi ». Puis, tendrement, elle se met à pleurer. « L’oiseau est mort dans mes mains, j’ai fermé ses yeux ». Un silence se fait. L’énigmatique Karen Black est-elle une éternelle enfant ou une poétesse aux regrets métaphoriques?

vendredi 20 août 2010

Extrait de L'été, Albert Camus

Les villes que l'Europe nous offre sont trop pleines des rumeurs du passé. Une oreille exercée peut y percevoir des bruits d'ailes, une palpitation d'âmes. On y sent le vertige des siècles, des révolutions, de la gloire. On s'y souvient que l'Occident s'est forgé dans les clameurs. Cela ne fait pas assez de silence. Paris est souvent un désert pour le coeur, mais à certaines heures, du haut du père-Lachaise souffle un vent de révolution qui remplit soudain ce désert de drapeaux et de grandeurs vaincues. Ainsi de quelques villes espagnoles, de Florence ou de Prague. Salzbourg serait paisible sans Mozart. Mais, de loin en loin, court sur la Salzach le grand cri orgeuilleux de don Juan plongeant aux enfers. Vienne parait plus silencieuse, c'est une jeune fille parmi les villes. Les pierres n'y ont pas plus de trois siècles et leur jeunesse ignore la mélancolie. Mais Vienne est à un carrefour d'histoire. Autour d'elle retentissent des chocs d'empires. Certains soirs où le ciel se couvre de sang, les chevaux de pierre, sur les monuments du Ring, semblent s'envoler. Dans cet instant fugitif, où tout parle de puissance et d'histoire, on peut distinctement entendre, sous la ruée des ascadrons polonais, la chute fracassante du royaume ottoman. Cela non plus ne fait pas assez de silence.

Gaspard Ulliel : L'odyssée d'une fossette

Un coup d’œil à la filmographie de Gaspard Ulliel rend silencieux : débuts télévisuels à 13 ans aux côtés de Sandrine Bonnaire, 16 long-métrages depuis, la réplique à Emmanuelle Béart, Isabelle Huppert, Vera Farmiga, de nombreux tournages à l’étranger (« Un barrage contre le Pacifique », « The Vintner’s luck », « Ultimatum »…). Le césarisé meilleur espoir masculin de 2005 appelle, cinq ans plus tard, Scorsese par son petit nom. Ils viennent de tourner, ensemble, le nouveau film publicitaire de Chanel pour le parfum Blue. Et Gus (Van Sant) est un bon ami. A-t-on le droit de fricoter avec les dieux ? L’hybris des Grecs, c’est fini, on peut sortir de sa condition aujourd’hui ?
Voyage d’une terrestre dans le ciel d’Ulliel…


Quatre tournages en un an et une montée des marches à Cannes. Absolument… démiurgique ! « Le film de Bertrand Travernier m’a permis de renouer avec le cinéma d’auteur et j’en avais besoin » confie Gaspard Ulliel. La princesse de Montpensier, en compétition officielle, sera diffusée aux Etats-Unis (le distributeur IFC a acheté les droits). « Les films en costume s’exportent bien » s’amuse-t-il, « c’est pourtant un film très français ».

La publicité pour le nouveau parfum homme de Chanel, dont Gaspard Ulliel est le nouvel ambassadeur, sera diffusée en septembre. Le film publicitaire va faire sensation. Derrière la caméra, le fascinant Martin Scorsese. La bande-son ? Les Stones. Tournage à New-York, par une équipe « incroyablement pro, digne d’un long-métrage, dirigée par le chef opérateur qui a conceptualisé l’image de La leçon de Piano, Stuart Dryburgh ». Ce qui l’a poussé à accepter ? « J’ai décliné toutes les autres offres de maisons de parfum. Mais Chanel et Scorsese, ça ne se refuse pas ». Comment il est, Martin Scorsese ? « Drôle et sympathique. Il écrit tout : storyboard, notes d’intention, mouvements de camera, découpages, tout est carré ! ». Et le spot ? « Le film a une vraie énergie, est très accrocheur, visuellement c’est tout simplement magnifique ».

Les parents de Gaspard Ulliel, stylistes, lui ont communiqué le goût des belles formes. « J’aime bien m’habiller, même si je n’en fais pas une obsession ». En effet, ses apparitions dans le rôle de mannequin semblent à la fois naturelles et fugaces. Le roi de la maroquinerie, Longchamps, avait déjà craqué en 2008 pour les lèvres lippues de l’acteur, son corps rond et musclé qui contrastait à merveille avec l’élégance tendue de la fidèle égérie, Kate Moss. Le making of du shooting au café de flore, romantique à souhait, laisse perplexe : on ne sait plus si on est jaloux d’elle, de lui, des deux, de leurs maquilleuses… En mars 2010, Paolo Roversi le shootait pour le New York Times. Ambiance crooner américain, petite moustache, large trench.

Je l’observe défaire le fil de sa carrière, appliqué, soucieux de bien dater le début du tournant international. Dès Un long dimanche de Fiançailles de Jean-Pierre Jeunet, tourné en partie aux USA, il tisse des liens avec ce pays, rencontre des agents, voyage. « Le rôle d’Hannibal a boosté ma notoriété en Amérique ». Je l’observe situer les De Van, Blanc, Webber, Jeunet et autres inspirateurs dans l’histoire de sa vie ; comparer ses mentors Otmezguine et Téchiné, au travers d’hommages sincères ; faire le lien entre rencontres fortuites et rencontres professionnelles, s’en amuser. Mon observation chemine vers le constat suivant : voilà un Apollon bien abordable.

Gaspard Ulliel n’est plus le titi mutique des écrans parisiens. Voix rauque d’ « Hannimal », mâchoires carrées, cheveux plaqués en arrière… Le petit Manech façonné par Jeunet a dorénavant l’allure d’un homme – l’homme du genre rital au visage pâle qui peut faire des dégâts au cœur. Sa jeunesse au vitriol, un quart de siècle derrière soi, Gaspard Ulliel pense à la réalisation. Un moyen de renouer avec ses premières amours qui l’avaient poussé à entamer des études de cinéma à l’université de Saint-Denis. Si le temps sert de gouvernail, il étiole aussi la confiance ; avec la maturité, viennent les doutes : « j’y pense, j’écris, mais je ne me sens pas encore prêt ». Gaspard Ulliel se dit trop perfectionniste. Il le dit en souriant et sa fossette prend vie. Fine et nette, tracée à la lame, elle est une marque de nudité qu’il porte comme un bijou.

Le fait qu’il reconnaisse sans ambages de possibles erreurs de parcours lui donne une longueur d’avance : « j’ai voulu toucher à tout, aux films pointus qui donnent du galon et aux films plus grand-public. Je me suis peut-être planté, les gens du métier ne savent plus où me placer. J’ai fait le pari que la notoriété permet ensuite l’exigence dans le choix de films ». Il s’emballe, légèrement : « Il faut bien la gagner cette notoriété ! C’est un équilibre subtil fait de compromis. Maintenant, j’essaie d’avoir plus de rigueur, comme Sean Penn que j’admire pour ses choix assurés et son parcours sans faute. C’est plus facile aux Etats-Unis, les familles cinématographiques sont moins définies, il y a plus de liberté d’action, on est bien moins vite catalogué ».

Je découvre que les dieux de l’olympe peuvent être écorchés. Dans le petit salon aux volutes de velours de l’Hôtel Particulier de Montmartre, une musique douce nous délasse. Il poursuit sur la réalisation : « Je pense produire un scénario original. Si je devais adapter, ce serait de la littérature ancienne, non contemporaine. Je voudrais faire quelque chose d’intime, sur l’humain ».

Derrière le fantasme, derrière le mannequin, le beau-gosse à la bouche gourmande, il existe un homme aux sensibilités aigues et à la passion fouillée. Cinéphile, amoureux de Tarkovski et Bergman, Gaspard Ulliel aimerait tourner avec James Gray et Paul Thomas Anderson, deux cinéastes modernes aux univers forts et aux styles affirmés. Il tire son chapeau devant Leonardo Dicaprio, dont l’intelligence insaisissable lui a permis de se dévêtir des habits de jeune poupon et d’explorer des terres autrement plus variées : « Dicaprio est un modèle générationnel. Il parait qu’il écrit des préfaces de livres d’art contemporain. J’aimerais beaucoup discuter avec lui ». Enfin, il fait la révérence devant la soyeuse Kate Blanchett, dont il est « le premier fan ». Et si Kate le lui demandait, il habiterait aux States ? « Pourquoi pas. New-York me prend par les tripes, il se passe quelque chose dans cette ville. Scorsese rend très bien compte de cette impression dans « After Hours ».
La déité sera new-yorkaise ou ne sera pas !

samedi 29 mai 2010

Fabrice Dupont : itinéraire d’une oreille pure


Fabrice Dupont, c’est le mythe du self-made man à lui seul. Originaire de Clichy, ce fou de musique possède aujourd’hui les studios Flux - temple de l’enregistrement à New York - et remixe l’hymne de la coupe du monde avec Shakira et les stars africaines Freshlyground.

Fabrice Dupont crée son premier label à 16 ans. Il produit en banlieue parisienne des jazzmen locaux, dont l’organiste Emmanuel Bez et le groupe MAM. Exilé à Boston, diplômé de Berklee, il intègre une boite de multimédias, rencontre sa femme et obtient sa carte verte. En 1998, il produit l’album de son groupe : les Honey And The Bees. Ambiance « Rock/Hip-Hop cassé ». En 2000, il pose ses valises dans un 30m2 à Manhattan, dans l’immeuble légendaire où les Stones, les Black Crowes et les Strokes ont enregistré. Good vibes. Les Honey And The Bees, rebaptisés Slant, sortent leur deuxième album en 2002. « Dix ans trop tôt, ou trop tard », confie aujourd’hui un Fab tanné par les exigences de la production musicale. « Le style était à contre-courant ». Qu’importe, sa technique intéresse. Il rencontre Graham Hawthorne, ange-mentor qui lui ouvre les portes du show business. Il mixe des morceaux pour Marc Ronson et décolle pour de bon en 2007 lorsqu’il mixe pour Jennifer Lopez. Il rachète le bail du studio au 154 2nd Street. Depuis, des noms comme Les Nubians ou Bebel Gilberto lui sont rattachés. Et John Hill, producteur de Shakira, vient de lui confier le remix de l’hymne de la coupe du monde – pour le compte de Sony Music Africa. Quand on demande à Fabrice, jeune papa qui n’a pas eu de vacances depuis 5 ans, si le travail est la clé du succès, il sourit. « Le travail et l’oreille candide ».