samedi 17 avril 2010

L'école du chill à Williamsburg

Encore un jour où enfiler le jean s’avère impossible. Un jean c’est épais, ça pince les poils des jambes mal rasées, ça ne laisse pas respirer la peau entretenue au lait de rose naturel. Je saute dans mon sari en toile de lin indonésien, me calotte d’un chapeau Annie Hall et file dans les rues alanguies de Williamsburg, Brooklyn.

Amis hipsters bonjour, ou plutôt bonne après-midi. Laissez-moi voir comme vous êtes tous bien relax, tous nés comme ca, la marguerite à la bouche dans un bac en faux sable. J’achète un jus de carotte-cèleri et tire vers l’East River Park, épicentre mondial du phénomène bobo.
Les chiens sont de rigueur, le poil laminé par trop de prélasse en appartement, mais la mine rougie par les multiples possibilités qu’offre cette sortie au parc. Des chiens de tous partis, de toutes orientations, de toutes factions, des chiens ambiance Melting Pot. A côté des toutous-rois, trônent les gamins. Emballée dans des linges épais - non lavables en machine – et posée sur une poussette en bois, la nouvelle génération green crachote tranquillement son lait bio caillé.

J’étale mon drap spécial bronzette, déchausse mes tatanes brésiliennes d’homme et m’abandonne au bruit rassurant des conversations humaines. Au loin, se rapproche le vendeur de glace. Bientôt sa musique de pédophile va titiller mes papilles et je serai obligée de lui acheter un cornet. Lieu de socialisation ambulant, le camion de glace réunit les deux principes cardinaux de la consommation américaine : prix élevé et qualité médiocre. Mais qu’importe, manger une glace c’est chill, soyons chill.

A côté de moi, un groupe de jeunes devise sur l’intérêt de se rendre au Rubulad le soir même. Les réticents invoquent le côté has been du lieu. L’underground a ses codes et le renouvellement en flux tendus des lieux de défonce en est un. A tel point qu’un PMU lambda a de bonnes chances d’être investi un beau jour par la faune underground, érigé au rang de spot cultissime pendant un mois, puis délaissé le mois suivant pour les faveurs d’un autre troquet plus paillasse. C’est ainsi que les américains laissent une chance aux débutants. Les moins blasés plaident la beauté de l’innocence des derniers rencardés qui viendront ce soir – honte suprême – pour la première fois faire claquer leurs derbies sur le sol du « Rub ».

C’est qu’à Williamsburg, on est vite un cancre du chill. Moi, par exemple, il y a quelques mois encore je ne recyclais pas mes règles ! Si si, je faisais encore la vieux jeu à gober des tampons tant et plus, à me tartiner de couches culottes obèses, alors que le keeper et sa douce coupelle me tendaient silencieusement les bras. J’ai compris également qu’acheter des légumes chez le légumier est du plus mauvais goût. Il faut se rendre à la source, là où le légume est cultivé. Certains bio-agriculteurs proposent même à l’acheteur, heu à l’usager, de venir cultiver son aubergine soi-même. La décroissance à quatre-pattes, un programme qui aguiche.

Un peu plus loin, sur la bute d’ordinaire réservée aux concerts néo-undergrounds, un autre groupe géant de jeunes dandies se donne en spectacle. Ils ont installé un lecteur de vinyle qui passe de la musique classique, sont tranquillement attablés et guindés dans des accoutrements d’une autre époque. Mais oui, bien sûr, j’ai entendu parler de ce concept – un poil tard comme d’habitude. Ces nostalgiques font revivre les toiles de Manet en organisant, en costumes, des « déjeuners sur l’herbe ». Ils ont même disposé un lit à baldaquin sur la pelouse qui sert de boudoir bucolique. C’est beau à en chialer. Je réprime une giclée de vomi qui remonte. Je pense à ce qui se passe en Tchétchénie. Merde, sois un peu plus chill bon sang. Chill, voilà, comme ca, chiiiiiiiiiiill.

Un ami américain me rejoint. Il fabrique des barreaux de chaises dans un atelier d’artistes à Bushwick. Il est très respecté de ses pairs. Il boit une bière cachée dans un papier marron. La police ne doit pas savoir qu’à 28 ans, il s’envoie une bière light sur le coup des 17h. Je lui demande ce qu’il compte faire plus tard. On ne dit pas « ce soir », mais « plus tard », parce que le temps est un cycle sans finitude.

Il m’invite à un barbecue végétarien dans le quartier juif. Il précise que je devrais me couvrir les bras et la tête. Merde, c’est chill ça ? Je hasarde un : c’est obligatoire ? Non, c’est respectueux de la tradition, c’est tout, m’explique-t-il. Bien sûr, la tradition c’est ancien, c’est vintage, donc c’est bien. Quelle idiote. Je pense à ce moment là à l’utilité d’un manuel du chill. Mais je me dis que si c’est moi qui l’écris, le bouquin aura un train de retard. Je fais part à mon ami de mon idée de manuel et de mon manque de savoir faire. Je lui propose d’être ma source. Il ne comprend pas ce qu’est le chill. Je réexplique. Toujours pas. J’insiste en montrant un papa pied nu qui croque dans un épi de mais au soja et une maman qui fait du yoga en maillot de bain. L’ami finit par lâcher : « si être chill c’est vivre, alors écris un manuel de vie ».


Petit lexique du chill :

Chill : signifie « décontraction » en anglais (chill out = laisse-faire)
Hipsters : nom initialement donné aux amateurs de jazz (au look soigné-négligé) et donné, par extension, aux bobos contemporains.
Rubulad : haut lieu de la night brooklynoise : 338 Flatbush Avenue. La soirée se passe dans un immeuble désaffecté, à l’entrée cachée, où des artistes sous LSD font des improvisations théâtrales au milieu d’une foultitude de danseurs habillés par American Apparel. A ne pas rater : le vendeur de drogue ambulant porte un gilet de sauvetage.
Keeper : réceptacle à menstruations
http://www.keeper.com/

vendredi 16 avril 2010

L'affaire Jesse James


Fallait pas étaler son bonheur comme de la confiture !!!!

Deux semaines après avoir obtenu un Oscar pour son rôle dans The Blind Side, Sandra Bullock fait à nouveau la une des tabloïds américains, mais cette fois comme Best Cocue of the Year. Son casanova d’ex-pimp, Jesse James, l’aurait trompé avec au moins 3 Romy Schneider aux fesses tatouées. Génial, la boite à cons se remplit toute seule.

Un nouveau serial cheater fait des émules aux pays des donuts : Jesse James a trompé la favorite des américains, Sandra Bullock, avec la féline streepteaseuse sadomasochiste Michelle Mc Gee. Michelle a ramassé 30 000 dollars pour sa confession aux gracieux journalistes de Star. Depuis, c’est l’escalade. La non moins sublime Melissa Smith a saisi elle aussi l’occasion de publier ses mémoires : ses échanges sms avec Jesse sont disponibles en ligne (notez que le pseudo de James laisse pantois : Vanilla Gorilla). Le 18 mars, Jesse James a du s’excuser publiquement pour son comportement de gros lard compulsif, et vous connaissez la musique, il va bientôt finir dans un centre pour dégénérés de la verge, affichant un minois de repris de justice en rédemption, il va cracher des millions à son avocat...

La vraie question qui devrait faire débat : lequel des deux, Tiger Wood ou Jesses James, a agit avec le plus de panache ?

Tiger Woods a 2 enfants, Jesse James en a 3. La femme de Tiger Woods était enceinte de son deuxième enfant quand il l’a trompée, Sandra Bullock serait enceinte de son premier enfant en ce moment même. Laquelle des deux histoires sent le plus les égouts ? Nous sommes descendus dans la rue, demander l’avis de celui que l’on a bafoué sans vergogne, de la vraie victime de ces scandales sexuels : le peuple américain.
(Dès 6'35)

L’affaire Tiger Wood

Vous avez certainement eu vent des méandres sexuels de l’homme à la canne agile, du meilleur viseur de trous au monde, du tigre des bois : Tiger Wood. Les infidélités du champion de golf ont fait le tour du monde ces quatre derniers mois, ainsi que sa tête de chien battu implorant le pardon face à une presse américaine qui se déchaine. Je pourrais baver le discours suivant : ce scandale est révélateur de l’état d’esprit américain, de l’hypocrisie ambiante, du voyeurisme masochiste couvert par un puritanisme opportuniste.

D’abord je prendrais le risque de vous perdre. Mais surtout, je voudrais que la Boite à cons soit concrète. Allons chercher la bêtise compacte, brute, la bêtise sous forme de pépites.
Prenons d’abord les protagonistes. Tiger Wood aurait trompé sa femme Elin avec une dizaine d’autres femmes depuis 2 ans (le National Enquirer offrait 18 maitresses au tigre avant hier, mais ce canard pêche par optimisme c’est bien connu). Les maitresses officielles sont : Jamie, Jamie (2 Jamies, joli coup le tigre !), Cori, Mindy, Rachel, Kalika, Holly, Joslyn, Loredana. Dois-je le préciser, toutes ont la grâce de Jackie Kennedy. Mindy est serveuse au Orlando. Elle confie aux autorités 2 informations clés : 1) avoir couché avec le tigre pendant tout le temps où sa femme était enceinte et 2) que le tigre n’aime pas porter de préservatifs. Holly et Joslyn sont 2 stars du X. Leur témoignage permet de dater le premier faux pas du tigre, jeune marié : sa bachelor party. Oups, heu non, pas encore jeune marié. Loredana, et c’est ma préférée, est pute. Pute, tout simplement. Moi je trouve ca courageux d’être pute et d’oser mettre sa carrière en danger pour les besoins de l’enquête publique. D’ailleurs je pense que pour le film qui sortira dans 10 ans sur la vie de Tiger Wood, il faudrait chiader le personnage de la pute-confesse (pas qu’on fesse). Je pensais à Anna Nicole Smith. Mince, elle est morte. Le cinéma d’auteur américain perd tous ses talents.
Pour terminer avec les protagonistes, je vous invite à devenir également protagoniste de l’affaire Wood en allant sur le site The Hollywood Gossip qui propose de voter en ligne pour l’une des maitresses du tigre, votre préférée, celle que vous aimeriez bien, disons, emmener golfer.

Maintenant les faits : Tiger Wood se serait fait choper un soir de novembre par sa femme alors qu’il venait d’avoir, avec une des Jackie Kennedy susnommées pour copilote, un accident de voiture. Trop bête. Elin aurait perdu patience et frappé le capot de son mari avec un… un… un club de golf ! Pourquoi Adidas ne saisit pas l’opportunité pour faire de cette scène une pub me dépasse. Passons. Dans son très solemnel "discours officiel d’excuses publiques" (on attend toujours un mot de Dominique Strauss Khan), Tiger Wood dit NON à ses concitoyens. NON je ne suis pas battu par ma femme. Je vous propose d’écouter ce grand moment de rachat d’appareil génital masculin.

Cette partouze géante a une dimension financière. Tiger Wood aurait perdu dans les 80 millions de dollars, ce qui revient en cout équivalent à une décennie de consommation quotidienne de pute. Dommage. Est-ce une raison pour ne plus miser sur le tigre ? Pour le chroniqueur financier Nick Kapur, pas du tout. Sur le site Motley Fool, Nick remet en cause les décisions des sponsors du tigre (General Motors, Pepsi, Accenture…). « Si Tiger était une action, explique-t-il, je l’achèterais maintenant, pas parce que c’est un chouette type et pas parce que je me sens mal pour lui, mais parce qu’il est bradé. Il est un actif en solde, d’une valeur économique folle et prometteur sur le long terme ». Dieux seul sait combien doivent valoir les actions Bill Clinton aujourd’hui.

Pour finir, je répondrai à la question qui brule les lèvres de tout le monde ? Comment va le tigre aujourd’hui ? Et bien, je ne vais pas vous le cacher… mal. Vous n’êtes pas sans ignorer qu’il a été interné dans une clinique de désintoxication sexuelle. Mélangé avec ses pairs, les riches sexual addicted du Mississipi, le tigre avait des chances de reprendre du poil de la bête. Malheureusement, je descends ce matin acheter mes donuts au peanet butter et je tombe sur la première page du National Enquirer qui me plonge dans un désarroi total : Tiger cheated in Rehab, Le tigre a trompé dans la clinique. Le cochon, il a du secouer une infirmière. J’achète 4$ ma bible, je tourne les pages, j’apprends au passage que Fergie est enceinte de Josh Duhamel, et découvre que Tiger cheated in Rehab… en refusant d’admettre son addiction, en arrivant en retard aux cours et en refusant de prendre des cachets. L’article, de 4 pages, dénonce l’attitude criminelle de réfraction à la réduction de pulsions sexuelles. Et en Europe on commercialise le Viagra pour femme. Faudrait se mettre d’accord dans les laboratoires !!! On fait bander la population ou on lui réduit le kiki en bouillie ?

La boite à cons : raisons d'etre

Qu’est-ce que la boite à cons ? Ouvrons-la pour voir. Qu’est-ce qu’on y trouve ? Des américains, bien sur. Pourquoi des américains ? Parce que la mauvaise foi est l’un de mes commandements et que critiquer un pays dans lequel on a délibérément choisi de s’installer est un excellent principe de mauvaise foi. Deuxième raison, plus ronflante, je trouve que l’antiaméricanisme culturel « renseigné » a perdu de sa superbe. Les dénonciations contre les fast foods, la télé-réalité, l’hyper-production de films débiles, ont baissé d’un ton ces 5 dernières années. Et pour cause : le mode de vie américain s’est bien exporté, a bien été assimilé, bien digéré par notre génération goulue de consommation. Franchement, est-ce qu’une pétition contre Mac Donald glanerait beaucoup de signatures aujourd’hui en France ? C’est un débat d’arrière garde. Même si l’on est contre la culture américaine (apanage des milieux élitistes ?), on ne milite plus activement contre elle. C’est une simple posture, convoitée bien souvent par les artistes.
Donc l’anti-américanisme semble s’être déplacé vers des terrains plus populaires, plus consensuels : contre Bush, contre Guantanamo, contre les premiers pollueurs au monde, contre les tenants du capitalisme (si on appartient à la frange révolutionnaire en voie d’extinction des altermondialistes). Mais la vaste mascarade états-unienne autour de la société du spectacle, l’obsession du divertissement et des loisirs, la culture de l’excès, ont cessé de faire l’objet d’une critique vive et argumentée.
La plus belle incarnation de cette critique est sans doute le film Nashville de Robert Altman. Ca tombe bien, c’est un américain qui critique les américains (he he, c’est ma caution non xénophobe). Rendons hommage à Altman, devenons de classieux anti-américains.

mardi 13 avril 2010

Le New-Yorkais, espèce saturée

Le New Yorkais est stylé, décalé, étranger, promu, rencardé, pressé, angoissé, impromptu, drogué, déjanté, second degré, bondissant, fumiste, passionné, bigarré, hilarant, déconcerté, bouleversé, de passage, fantaisiste et mélomane. Et oui, le New Yorkais est bel et bien saturé.
Ce constat m’est apparu mardi soir, après une aventure pour le moins épique sur la ligne L et un brassage névrotique de lieux communs au bar le Diamond.
Entre la 1st Avenue et Bedford, le tohu bohu du métro ramenait délicatement les usagers les uns contre les autres. Regroupement involontaire, inconfortable et moite, toléré pour le seul éparpillement qu’il augure. J’exerçais moi-même une légère pression, presque imperceptible, sur l’épaule de ma voisine de droite, debout au cœur de la rame. Nos manteaux de grosse laine se bécotaient subtilement. Le ralentissement du métro rendit la pression du contact plus évidente, bien que tout à fait raisonnable pour des inconnues. Tout au plus l’occasion pour nos mailles laineuses de sortir la langue. Mais cette nouvelle étape dans le rapprochement des corps chauds déclencha le redoutable déclic de saturation chez ma voisine.
La saturation du new yorkais est imprévisible. Elle est l’incontrôlable bascule vers son incivisme refoulé. La belle s’est écartée de moi, a soufflé entre ses dents, m’a foudroyé du regard. Ses tresses hippiesques se sont dressées, furibondes, gendarmesques. Je présentai à l’outragée un net pincement de lèvres, signe entendu d’excuses embarrassées. Trop tard, le vase était plein et j’avais provoqué son débordement. Quelle infamie avais-je commise ! J’en rougissais. Mais comment savoir à l’avance que ce vase-là était prêt pour la vidange ?
Pendant les deux longues minutes qui suivirent l’incident, la jeune femme, portrait craché de Gena Rowlands dans Gloria, irradiante dans son négligé sophistiqué, se débattit intérieurement pour ne pas m’abattre au milieu de la foule. Elle s’agitait, se retournait nerveusement, mesurant son pré carré, s’assurant qu’aucune masse anonyme ne viendrait lui voler le firmament presque éteint de son énergie.
Arrivées à Bedford, portées par la vague séditieuse des évadés de Manhattan, nous fumes propulsées sur le trottoir. Et je la vis disparaitre rapidement au coin de la 7ième , derrière le Thrift Store. Quand l’effleurement de l’autre devient insupportable, à quel degré de misanthropie en sommes-nous ?
Je pris le chemin du Diamond, situé entre Franklin et Meserole. Sarah m’y administrerait un verre de réconfort, servi avec ses mains de bonne mère. Mieux que cela, Sarah me présenta un ancien habitué du bar, tout juste revenu d’un voyage humanitaire au Tibet. Enclin à renouer avec le passé et à fêter son statut de rescapé, John me servit un verre. Quatre portos plus tard, nous débattions chaleureusement. Je suis française, j’aime débattre lorsque je bois.
Je prononçai de longs mots que je ne pensais pas connaitre en anglais, pressée par John-le-tibétain de justifier mon non-engagement humanitaire. « Ne penses-tu pas que prendre position dans un pays dont l’histoire et la culture nous échappe puisse être présomptueux ? Comment hiérarchiser les causes ? Pourquoi le Tibet et pas le Darfour ? ». John se mit à trembler d’énervement, à sautiller sur son siège (j’apprendrais par la suite que John était en phase de redevenir alcoolique). « Vous les Européens, bande de mous, ne nous donnez pas de leçons ! Il faut choisir un combat et le mener à bien, peu importe l’endroit. Putain, merde, tu n’vois pas ce qui se passe au Tibet à la télé, ça te suffit pas ? ».
C’est à ce moment que la vérité se pencha vers moi, depuis l’épaule frémissante de John. La démangeaison capiteuse ressentie par tous les new yorkais, cette énergie exaltante transmise par le sol de Gotham et racontée par tous les cosmopolites du monde – plutôt encouragée, entre nous soit-dit, par une consommation hallucinante de café –, cette palpitation des sens est très certainement la phase qui précède la crise de nerf. Voilà ce que les artistes viennent chercher à New York : les prémisses du craquage, l’énergie du tressaillement. Ne riez pas, la durée moyenne de stationnement du New Yorkais est de trois ans seulement ! Le troc d’appartements, c’est safe ?

Voyage dans l'éternité de Cartier Bresson

« La photographie est un couperet qui dans l'éternité saisit l'instant qui l'a éblouie »
Henri Cartier Bresson a marqué par son incomparable créativité la photographie du XXème siècle. Portraitiste visionnaire, photographe humaniste, il a consacré sa vie aux images et à l’information. Le MOMA offre – en collaboration avec la Fondation Cartier Bresson de Paris – la première rétrospective majeure de l’œuvre de l’artiste depuis sa mort en 2004. L’exposition s’envolera ensuite vers Chicago, San Francisco, puis Atlanta.
Après la seconde guerre mondiale, Robert Capa et Henri Cartier Bresson, à travers la formation de l’agence Magnum, avaient lutté pour la démocratisation du photojournalisme. En quête de connaissance, Cartier Bresson n’a cessé dès lors de combiner photographie et étude sociale.L’entrée de l’exposition donne le ton : les murs sont recouverts de cartes du monde sur lesquelles sont tracées en rouge vif les multiples pérégrinations du photographe. Le voyage au pays sans frontière de HCB commence, prenant aux tripes les nostalgiques des époques et des lieux.
Paris, 1968. Une première salle, aérée, sans lourdeur chronologique de procession, ouvre sur Paris et sa révolte : manifestations Place de la République et au Père Lachaise. Des photos d’une neutralité franche, sans parti pris. Les locaux de la BBC à Londres font leur apparition. Puis, les lieux et les impressions se mêlent : le Caire en 1950, le Michigan en 1960, l’Inde de 1947, l’Iran, l’Italie, la Turquie, l’Espagne, la Roumanie, le Nebraska...
Au milieu, quelques scènes bucoliques attrapées en Lozère, au Mans et dans le Vaucluse, suffisamment puissantes et animées pour qu’un français en exil s’imagine dans un film de Jacques Tati.
Une deuxième salle présente le reportage de Cartier Bresson en Chine lors du Grand Bond en Avant en 1958. Ce projet a connu un succès limité, alors qu’il a généré de véritables bijoux d’archives. Le coup de maitre du conservateur Peter Galassi, pour The Modern Century, réside justement dans le mariage subtil entre des œuvres dites majeures et d’autres très peu connues, même des experts. Le livre de l’exposition est d’ailleurs déjà considéré comme un ouvrage révolutionnaire dans l’histoire de l’art.
The Modern Century présente 300 photographies – dont 220 ont été prêtées par la Fondation Cartier Bresson, créée en 2002 – et resserre le lien étroit entre l’artiste et le musée qui l’avait accueilli en 1947.
Les princes… et les autres
Le luxe des artistes est le paradoxe. HCB en cultivait un de taille : l’amour du photojournalisme – avec une certaine idée de l’objectivité – et l’adhésion au procédé surréaliste d’embellissement du réel (rendre le monde plus surprenant qu’il ne l’est réellement). Cette conception de la photographie poussera HCB à produire certains clichés plus lyriques, assez peu connus : des femmes nues, lascives, recouvertes d’eau, des paysages romantiques au Japon, … Trésors que le MOMA livre au fil de la visite.
« La rue est un théâtre, nos gestes sont des histoires ». L’éventail des gestes que Cartier Bresson a photographiés est large. Son œil s’est posé sur des prostitués mexicaines et sur des princes anglais. Sur la pellicule de l’artiste se rencontrent Henri Matisse et Christian Dior, Richard Avedon et le Roi George VI, Francois Mauriac et Coco Chanel, Albert Camus et Truman Capote, Jean Paul Sartre et Madame Lanvin, Simone de Beauvoir et Georges Duhamel, Pierre Bonnard et Jean-Marie Le Clézio, Giacometti et Colette… Ces grands noms n’ont pas détourné HCB de sa curiosité pour l’homme de la rue. Dans la fugacité d’un cliché où un membre de l’académie française, rehaussé par son chapeau Napoléonien, croise sur le même plan un travailleur, se mesure la volonté de HCB de décrire la matière humaine plus que son ordre.
Autre preuve du scepticisme mondain de l’artiste : le traitement du discours du Général de Gaulle. La photo, prise à Aubenas, montre des petites vieilles entassées sur un escalier, crispées dans leur attention aux mots du Général.

Non ma fille tu n'iras pas danser à New York

La cinquième réalisation du désormais incontournable Christophe Honoré a dépassé les 400 000 entrées en France ! Non ma fille, tu n’iras pas danser, émouvant huit clos féminin, a séduit le public new-yorkais du festival Rendez-vous with French Cinema. Le maestro et sa muse, Chiara Mastroniani, expliquent la mécanique de leur brio.

Il semblerait que vous tombiez amoureux de vos acteurs : avant, Louis Garrel, maintenant Chiara Mastroiani. Qu’est-ce qu’il faut dégager pour mériter votre amour de cinéaste ?

Christophe Honoré : Je travaille souvent avec les mêmes acteurs, donc des rapports un peu sentimentaux peuvent émerger, autour du nœud qu’est la fidélité artistique notamment. Je sais qu’il y a d’excellents acteurs français avec qui je ne jouerai jamais, parce que nous n’avons pas la même idée du cinéma. J’aime que les acteurs fassent preuve d’exigence dans leur choix artistiques. Je ne serai jamais complètement exhaustif sur la question des attraits des comédiens, c’est assez diffus. J’apprécie les acteurs rapides, faisant preuve de vivacité, mais aussi délicats dans leur jeu. Avec Chiara, en apparence, nous avions peu de choses en commun. Mais, en réalité, nous partageons le même imaginaire, ce qui est essentiel à la création.

Si vous deviez décrire Lena avec deux adjectifs ?

C. H. : Lena est déconsidérée et teigneuse. Elle refuse que sa famille la considère comme une adulte déclassée, elle se bat contre ce préjugé.

Laquelle est la plus libre : Lena, sa sœur ou sa mère ?

C. H. : Lena est la plus libre, la plus affranchie. On mesure sa liberté au fait que c’est elle qui en paye le prix fort : la détresse. Je suis sartrien : celui qui mène l’action est celui qui est dans une position de liberté. Ces trois femmes ont contemplé la tentation du départ après l’adultère. Seule Lena est partie.

La famille de Lena est-elle un refuge ou une prison ?

Christophe Honoré : Les liens du sang sont des liens toxiques. Le rapport des parents aux enfants est toujours un abus de pouvoir. J’en parlais déjà dans mon roman « Infamilles ».

Chiara Mastroiani : Lena est confrontée à une bienveillance mal dirigée. Elle vit dans l’adversité permanente face à une famille qui est dans la sollicitude. Je crois que ses parents cherchent aussi à se rajeunir en l’infantilisant. Quel adulte peut-on devenir pour ses propres parents ?

Les acteurs masculins ont des accents. Est-ce pour les rendre étrangers à l’univers féminin ?

C. H. : Oui, je voulais qu’ils soient des pièces rapportés et que le film se concentre sur les femmes.

L’intermède du conte breton sert-il l’analogie entre Lena et la princesse ou dénonce-t-il la persistance du poids des traditions ?

C. H. : Tout de cela à la fois. Cette légende, en tant que breton, je la connais bien. Elle est symptomatique de la manière dont sont asservies les femmes : on joue sur leur culpabilité.

Le personnage interprété par Louis Garrel déclare « on se découvre soi-même à travers le renoncement ». C’est votre idée ?

C. H. : J’arrive à un âge où l’on trie ce à quoi on a renoncé et ce qui reste possible, surtout quand on fait mon métier. Etre cinéaste, c’est apprendre à renoncer au cinéma qu’on ne fera jamais. Vous n’êtes jamais votre cinéaste préféré, ou alors c’est insupportable.

Vous avez renoncé à quel cinéma ?

C. H. : A mes débuts, j’ai cru que je n’étais pas un réalisateur français. Que la tradition romanesque française des longs dialogues ne me nourrissait pas. Inspiré par des artistes comme Pasolini, je me suis inscrit dans un art cinématographique de prose plus que de poésie et je pensais être un créateur d’images. En réalité, la littérature - et donc la teneur Nouvelle Vague - rode autour de moi, certainement à cause de mon passé d’écrivain. Mes deux premiers films, plus en phase avec un genre que j’admirais, ne m’ont pas apporté autant de plaisir de mise en scène que les derniers, plus « français ». Je ne regrette pas du tout mes débuts, qui ont une fébrilité intéressante. Il faut se méfier de la perfection. Jacques Rivette est à cet égard un cinéaste majeur pour moi, parce qu’il a de l’amitié pour les défauts de ses films, qu’il a su cultiver le gout de l’inachèvement.
Qu’est-ce qui vous vient le plus facilement, l’écriture scénaristique ou la réalisation ?

C. H. : Ce qui me coute le moins est le montage, je n’ai pas de scrupule à me séparer des plans superflus et je prends presque un plaisir enfantin à monter et démonter. J’attache beaucoup d’importance au scénario, mais je ne le sacralise pas, cela reste un brouillon, un papier sur lequel on pose les tasses de cafés. La réalisation est certainement plus inconfortable pour moi. Mais il s’agit justement d’un exercice qui réclame de l’inconfort : c’est dans la contrainte que l’on crée le mieux.

Chiara, ce rôle est-il différent des autres ?

Chiara Mastroiani : Oui. Christophe honoré m’a offert un univers inattendu. Cela avait un peu commencé avec Arnaud Desplechin. Grace à eux, je me suis libérée artistiquement des choses de l’adolescence qui empêtrent. Il faut bien qu’il y ait des avantages à vieillir !

Non ma fille, … esquisse des sujets de société tels que la culpabilisation des femmes et le célibat des jeune mères. Votre cinéma devient plus social ?

C. H. : Surtout, je ne veux pas que mes films soient assimilés à des sujets de société cernés. La mode du calibrage thématique des films me déplait. La force du cinéma français est d’être indécidable, de conserver un flou sur ce dont il parle. Lena élève ses enfants seule. Le rapport d’adulte, avec son fils, est inversé. Ma génération a été sur-couvée par ses parents (à cause de l’insécurité liée au chômage, au Sida…) et donc déresponsabilisée. Par compensation, cette génération a tendance à sur-responsabiliser ses enfants, à les traiter très tôt comme des adultes. Ce rapport social est abordé dans le film, mais il n’est pas central.

Ah oui, dernière question hyper importante : pourquoi déshabillez-vous systématiquement Louis Garrel ?

C. H. : Parce qu’il s’habille mal !