mardi 13 avril 2010

Voyage dans l'éternité de Cartier Bresson

« La photographie est un couperet qui dans l'éternité saisit l'instant qui l'a éblouie »
Henri Cartier Bresson a marqué par son incomparable créativité la photographie du XXème siècle. Portraitiste visionnaire, photographe humaniste, il a consacré sa vie aux images et à l’information. Le MOMA offre – en collaboration avec la Fondation Cartier Bresson de Paris – la première rétrospective majeure de l’œuvre de l’artiste depuis sa mort en 2004. L’exposition s’envolera ensuite vers Chicago, San Francisco, puis Atlanta.
Après la seconde guerre mondiale, Robert Capa et Henri Cartier Bresson, à travers la formation de l’agence Magnum, avaient lutté pour la démocratisation du photojournalisme. En quête de connaissance, Cartier Bresson n’a cessé dès lors de combiner photographie et étude sociale.L’entrée de l’exposition donne le ton : les murs sont recouverts de cartes du monde sur lesquelles sont tracées en rouge vif les multiples pérégrinations du photographe. Le voyage au pays sans frontière de HCB commence, prenant aux tripes les nostalgiques des époques et des lieux.
Paris, 1968. Une première salle, aérée, sans lourdeur chronologique de procession, ouvre sur Paris et sa révolte : manifestations Place de la République et au Père Lachaise. Des photos d’une neutralité franche, sans parti pris. Les locaux de la BBC à Londres font leur apparition. Puis, les lieux et les impressions se mêlent : le Caire en 1950, le Michigan en 1960, l’Inde de 1947, l’Iran, l’Italie, la Turquie, l’Espagne, la Roumanie, le Nebraska...
Au milieu, quelques scènes bucoliques attrapées en Lozère, au Mans et dans le Vaucluse, suffisamment puissantes et animées pour qu’un français en exil s’imagine dans un film de Jacques Tati.
Une deuxième salle présente le reportage de Cartier Bresson en Chine lors du Grand Bond en Avant en 1958. Ce projet a connu un succès limité, alors qu’il a généré de véritables bijoux d’archives. Le coup de maitre du conservateur Peter Galassi, pour The Modern Century, réside justement dans le mariage subtil entre des œuvres dites majeures et d’autres très peu connues, même des experts. Le livre de l’exposition est d’ailleurs déjà considéré comme un ouvrage révolutionnaire dans l’histoire de l’art.
The Modern Century présente 300 photographies – dont 220 ont été prêtées par la Fondation Cartier Bresson, créée en 2002 – et resserre le lien étroit entre l’artiste et le musée qui l’avait accueilli en 1947.
Les princes… et les autres
Le luxe des artistes est le paradoxe. HCB en cultivait un de taille : l’amour du photojournalisme – avec une certaine idée de l’objectivité – et l’adhésion au procédé surréaliste d’embellissement du réel (rendre le monde plus surprenant qu’il ne l’est réellement). Cette conception de la photographie poussera HCB à produire certains clichés plus lyriques, assez peu connus : des femmes nues, lascives, recouvertes d’eau, des paysages romantiques au Japon, … Trésors que le MOMA livre au fil de la visite.
« La rue est un théâtre, nos gestes sont des histoires ». L’éventail des gestes que Cartier Bresson a photographiés est large. Son œil s’est posé sur des prostitués mexicaines et sur des princes anglais. Sur la pellicule de l’artiste se rencontrent Henri Matisse et Christian Dior, Richard Avedon et le Roi George VI, Francois Mauriac et Coco Chanel, Albert Camus et Truman Capote, Jean Paul Sartre et Madame Lanvin, Simone de Beauvoir et Georges Duhamel, Pierre Bonnard et Jean-Marie Le Clézio, Giacometti et Colette… Ces grands noms n’ont pas détourné HCB de sa curiosité pour l’homme de la rue. Dans la fugacité d’un cliché où un membre de l’académie française, rehaussé par son chapeau Napoléonien, croise sur le même plan un travailleur, se mesure la volonté de HCB de décrire la matière humaine plus que son ordre.
Autre preuve du scepticisme mondain de l’artiste : le traitement du discours du Général de Gaulle. La photo, prise à Aubenas, montre des petites vieilles entassées sur un escalier, crispées dans leur attention aux mots du Général.

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