mardi 13 avril 2010

Entretien avec Randall Kennedy

Diplômé de Princeton et Yale, Randall Kennedy est professeur à Harvard. Il a publié Les politiques de trahison raciale en 2008. Il était le 27 janvier à la Villa Gillet (Lyon) pour parler de son nouveau livre sur Barack Obama et la question raciale aux Etats-Unis.
Pourquoi avoir déclaré : « J’étais persuadé que le premier président noir nord-américain serait conservateur » ?
Randall Kennedy : Effectivement, je pensais que si une personne de couleur noire devenait président des Etats-Unis, elle serait républicaine et très conservatrice. L’histoire de la représentation du pouvoir montre que la nouveauté est mieux tolérée si elle est incarnée par un tenant de la tradition. Cet effet compensatoire opère comme caution de stabilité et rassure l’opinion publique. La première femme ministre du Royaume-Uni, Margaret Thatcher, était ultraconservatrice. Si on m’avait dit en 2006 que Barack Obama allait devenir président des Etats-Unis, vraiment, je n’y aurais pas cru.
La popularité d’Obama aux Etats-Unis a décliné. Comment l’expliquez-vous ? Est-ce passager ?
R. K. : Cette baisse dans les sondages est temporaire. Le même phénomène a été constaté sous Bill Clinton. Barack Obama incarne le changement, c’est pour cela qu’il a été élu. Mais si l’idée du changement séduit, sa mise en place effraie, c’est classique. De plus, sa popularité était tellement forte début 2009, qu’elle ne pouvait que décliner. La crise économique sert et dessert Barack Obama. En même temps qu’elle a servi son élection - puisqu’il incarnait une voie nouvelle après Georges Bush déjà enlisé dans la crise financière -, elle est également un poids à la réalisation de ses objectifs. Une crise économique et deux guerres, voici un agenda bien chargé ! N’oublions pas que la société américaine est par nature divisée. Je ne suis pas surpris d’entendre les conservateurs gronder. Il est le premier président des Etats-Unis à parvenir au changement du système de santé depuis Lyndon Johnson, et c’est ce qui compte à mes yeux.
Certains observateurs reprochent à Barack Obama de dépenser trop, dans une période de difficultés économiques. Partagez-vous cette opinion ?
R. K. : Je pense qu’il a fait ce qui s’imposait : éviter la catastrophe. Je suis assez satisfait de ses décisions en matière économique. Je regrette que son administration n’ait pas une attitude plus ferme à l’égard de Wall Street.
Que pensez-vous de l’action de l’administration Obama contre le chômage ?
R. K. : Je pense qu’il reste beaucoup à faire. Le taux de chômage est très élevé (plus élevé que ce que les chiffres officiels laissent penser), surtout chez les minorités. L’argument de la crise doit servir de catalyseur dans la lutte contre le chômage. Mais cette dernière s’inscrit dans un processus long. Accélérer la mobilisation de l’état contre la perte d’emploi, est un objectif permanent, crise ou pas crise.
Alors que sa popularité décroit aux Etats-Unis, Barack Obama est toujours adulé en Europe. Pensez-vous qu’Obama soit le président de cœur des Européens ?
R. K. : Ce serait excessif d’affirmer cela. Barack Obama, parce qu’il est concerné par les problèmes du monde, est apprécié outre-Atlantique. Il est devenu un symbole de tolérance depuis son discours à l’ONU. Les européens y sont très sensibles. De même qu’ils ont été très sensibles, mais dans un mauvais sens, à l’arrogance de Georges Bush. Ainsi, Barack Obama, avant d’être exceptionnel pour ce qu’il est aux yeux du monde, l’est d’abord comme alternative à George Bush. D’autre part, les Européens sont moins directement concernés par les sujets épineux sur lesquels Barack Obama a tranché, et donc encore portés par l’optimisme d’après élection. Même si je soutiens Barack Obama, je suis personnellement inquiet des choix qu’il fait en Afghanistan. Je m’attendais à une rupture plus franche avec la politique militariste de l’ancienne administration.

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