vendredi 19 novembre 2010

Et vous, que voulez-vous faire avant de mourir ?



Les photographes Nicole Kenney and Ks Rives ont décidé de rendre formelle la perception de la mort au travers de polaroïds testamentaires… Les citoyens Américains et Indiens qu’elles ont rencontrés ces deux dernières années ont répondu à la question directe “What do you want to do before you die?” (« Que voulez-vous faire avant de mourir ?») en écrivant la réponse sur leur polaroïd.

Cette collection de portraits un peu jaunis (qu’on verrait bien sur la table de nuit d’Amélie Poulain) montre quelques centaines d’hommes et de femmes pris en flagrant délit de pragmatisme aigu (« devenir riche », « m’acheter un nouveau scooter », « porter tous les vêtements de mon dressing »), d’idéalisme (« mettre un terme au racisme », « sauver les pauvres ») de mysticité (« trouver Dieu », « mourir à nouveau, la première fois était tellement merveilleuse »)… Les 2/3 des sondés ont opté pour un lyrisme plus tiède : « vivre heureux entourés de ma famille et de mes amis ».
En même temps qu’elle est la quintessence de l’universel (les habitants du monde entier y sont confrontés), la mort est culturelle : la perception qu’un individu a de sa propre mort renseigne sur sa culture, sur les valeurs de son pays. Nicole Kenney et Ks Rives, qui ont respectivement étudié la sociologie et la psychologie, expliquent que les Indiens et les Américains ont un rapport très différent à la mort : les premiers sont individualistes, expriment principalement des souhaits individuels et cherchent l’originalité dans leur réponse ; les seconds, plus communautaires, se concertent avant de répondre et font des vœux collectifs.

La partie « Hospice » de l’étude “What do you want to do before you die?” a une dimension plus grave : dans un hôpital, des malades photographiés avec des tuyaux dans la bouche livrent leur dernier rêve de vie. Une série de photos dans les prisons devrait venir étoffer ce volet plus somatique sur la perception de la mort, qui aurait mérité, disons-le, un vrai support écrit.

Nicole Kenney et Ks Rives travaillent sur l’avenir du projet : dans dix ans, elles retourneront voir les personnes qu’elles ont interviewées pour vérifier si celles-ci ont accompli leur rêve. Les polaroïds pris au Japon, au Brésil, en France et en Italie devraient bientôt être mis en ligne sur un nouveau site interactif : chaque sondé pourra créer sa page, actualiser son profile. Le facebook du rêve en somme. Saluons l’ironie de ces deux chercheuses de désirs qui traitent de la mort - le sujet - par la photographie - le medium qui immortalise.

http://www.beforeidieiwantto.org/about.html

Romain Duris aux Etats-Unis : « Les rôles de French Lover ne m’intéressent pas »

A 36 ans, Romain Duris fait l’objet d’une rétrospective au prestigieux BAM de New York. Les contrastés « Chacun cherche son chat », « Le péril jeune » et « De battre mon cœur s’est arrêté », y seront diffusés fin août-début septembre. Nous avons rencontré Romain Duris à l’occasion de l’avant-première new-yorkaise de l’Arnacoeur, qui sortira en salle aux Etats-Unis le mois prochain. Naturel et facétieux, le self-made actor nous a livré ses craintes et ses rêves… américains.

Quelle difficulté vous a posé le rôle d’Alex dans l’« Arnacœur » ?

Romain Duris : Pascal Chaumeil a eu l’intelligence de se servir des tempéraments des acteurs pour faire vivre chaque moment de son film. Nous avons donc tâché de donner corps aux personnages. J’ai cherché à casser le côté formaté de cette comédie. Nous ne voulions pas d’une comédie calibrée, écrite pour faire rire.

Les comédies romantiques américaines sont souvent grandiloquentes. Ne craignez-vous pas que « Heartbreaker » made in USA soit excessif ?

Romain Duris : Un des auteurs du scénario, Jeremy Doner, est américain. Donc un remake de « L’Arnacœur » par les américains, dans ces conditions, est un simple retour à l’envoyeur ! Je ne sais pas si le film sera moins fin dans sa version américaine. Le film de Pascal Chaumeil, s’il n’est pas parfait, a un vrai charme, une perception. Il a été tourné sur le vif : c’est le film d’un moment. Vouloir recréer une fraîcheur, une humeur, est particulièrement difficile. Faudra-t-il que la reconstitution soit fidèle aux petites erreurs de l’original pour conserver la même fébrilité, la même spontanéité ? Je suis pressé de voir ce que cela va donner. Mais je ne me fais pas trop de soucis quand même. Les américains sont doués et capables de tout. Le sens du rythme, l’efficacité du thriller, sont leur fort. La seule restriction que je peux émettre à l’idée d’un remake, même si ce projet ne m’implique pas directement, concerne le temps. Peut-être est-il un peu tôt pour se lancer dans un remake. J’aime voir des réadaptations quelques années après la sortie de l’original, pour laisser au film de temps de murir, d’être digéré.

Etes-vous déjà sollicité par des producteurs américains ?

Romain Duris : Oui, mais jusqu’à présent, rien ne m’a convaincu. Je regrette qu’on ne me propose que des rôles de French Lovers qui ne m’intéressent pas. Ce que j’aime dans un personnage, c’est sentir, à partir du scripte, qu’il peut évoluer. Sentir qu’il reste un peu à créer, que je vais pouvoir mêler à la personnalité du personnage un bout de ma personnalité.

Si vous pouviez tourner avec un réalisateur américain, lequel choisiriez-vous ?

Romain Duris : Il y en a tant… Si je suis mes rêves, je dirais les frères Cohen, James Gray et Martin Scorsese. C’est vrai, après tout, on peut rêver.

Quelle est la comédie sentimentale américaine qui vous a influencé ?

Romain Duris : « La vie est belle » de Franck Capra, sans hésiter.
Qui sont vos mentors dans la profession ? Qui vous a appris votre métier ?

Romain Duris : Dans l’ordre : Klapisch, Audiard, Honoré et Chéreau. J’ai beaucoup de chance, j’ai tourné avec des réalisateurs qui m’ont tous allumé !

Quelle est votre actualité ?

Romain Duris : En ce moment, je répète au théâtre la pièce de Koltès, mise en scène par Patrice Chéreau, « La nuit juste avant les forêts ». L’année prochaine je tournerai dans le nouveau film de Pascal Chaumeil « Vivre, c’est mieux que mourir ».

La municipalité de Brooklyn attaquée en justice par deux synagogues

Cet été, le maire du quartier de Brooklyn, Marty Markowitz, aura sué plus que ses confrères new-yorkais. Son projet de création d’un amphithéâtre à Coney Island, dans le cadre des concerts gratuits de l’Asser Levy Park, fait l’objet d’une polémique politico-religieuse. Deux synagogues ont porté plainte contre la municipalité fin juin pour enfreinte à la Loi contre le bruit. Les plaignants entendent ainsi faire annuler les concerts en plein air et le projet de création d’amphithéâtre.

Crescendo de voix

Les concerts gratuits de l’éclectique festival Seaside Summer, organisé sous l’impulsion de Marty Markowitz depuis dix neuf ans, réunissent plus de 10 000 aficionados par an. Ce festival familial, situé dans L’Asser Levy Park, fait le bonheur des amateurs de pop, rock et salsa. Mais la communauté juive de Brooklyn-sud ne l’entend pas ainsi : les festivités perturbent son shabbat et l’exercice de ses services religieux. Si l’hostilité de la communauté à l’égard des concerts était constante ces dernières années, l’annonce faite au mois de mai de la construction d’un amphithéâtre capable d’accueillir 8 000 personnes dans l’Asser Levy Park, a fait l’effet d’un détonateur.

Cent cinquante manifestants réclamant l’annulation du projet se sont réunis à Coney Island le 16 mai. Une pétition contre la construction de l’amphithéâtre a circulé dès le mois de juin. En juillet, l’affaire a pris une tournure judiciaire : le défenseur des droits civiques Norman Siegel a porté plainte au nom des synagogues Temple Beth Abraham et Sea Breeze Jewish Center contre la municipalité de Brooklyn. Les deux fautes invoquées concernent le dépassement de la limite des décibels autorisés depuis la création du festival (15 décibels au lieu de 10) et le non respect de la distance minimale entre les concerts et les lieux de culte (106 mètres au lieu des 152 autorisés). La plainte de Siegel fait donc valoir l’illégalité des concerts organisés par le Marty Markowitz depuis 19 ans ! Le concert latino du 26 août s’est joué en sourdine, en attendant la décision de justice.

Marty Markowitz, qui affichait une humeur détachée devant la presse au début de l’été : « sommes-nous tous devenus puritains ? », voire provocatrice « les membres de la synagogue ne sont pas des avocats ! », refuse de s’exprimer depuis.

Les sirènes du pouvoir

Beaucoup de bruit pour rien ? Pas forcément. La querelle autour des concerts de Coney Island révèle des problèmes de vie sociale et politique aux enjeux profonds.
Il n’y aurait certainement pas eu de telles cacophonies si Michael Bloomberg n’avait pas modifié la loi contre le bruit pour secourir son ami Marty Markowitz. Quand Markowitz s’est tourné vers le maire de New-York le 25 juin, après les premières plaintes contre les concerts, Bloomberg a fait le choix de retirer temporairement la clause sur les 152 mètres de la loi contre le bruit. Cette décision a aussitôt été dénoncée comme un geste de favoritisme politique et d’abus de pouvoir. Or, Bloomberg avait fait savoir dès sa réélection en 2005, qu’il entendait se rapprocher de la communauté juive. L’été 2009 lui avait d’ailleurs donné l’occasion d’honorer sa promesse : il avait validé le retrait réclamé par la communauté juive de Williamsburg de la piste cyclable de Bedford Avenue. Selon les associations de défense de l’environnement rattachées à la mairie, l’argument sécuritaire du lobby juif dissimulait en réalité une prise de position morale contre le passage de femmes dénudées en vélo. L’été 2010 risque bien d’effacer la faveur de 2009.
Aucun des médias ayant couvert l’affaire n’a mentionné la question sous-jacente de la séparation des pouvoirs publics et de l’Eglise, question dont les Français se seraient immanquablement emparés. Les lobbys religieux peuvent-ils décider de l’aménagement urbain et de la politique culturelle d’une ville ? Seuls quelques internautes ont enfilé le bonnet républicain : « Et la séparation de l’Etat et de l’Eglise dans tout ça ? » s’exclame Steve sur thebrooklynpaper.com. « Les sirènes stridentes des synagogues retentissent violemment tous les vendredis après-midi, et je n’entame pas un procès ! », rajoute Tom. Le Brooklyn Paper, qui a publié 7 papiers en 3 mois sur cette affaire, est accusé par le Gothamist de prendre partie pour la communauté juive. Dans un article sur la controverse entre la communauté juive et Marty Markowitz, le New York Times titrait le 15 juillet : « Bringing Fun to Brooklyn! ».

lundi 23 août 2010

Les oiseaux ne chantent pas la nuit

Cet été, Hollywood s’est installé à Denmark, dans le Maine. L’actrice Karen Black, qui vient de fêter ses 71 ans, a pris la route vers l’Est pour tourner dans son 145ième long métrage. Film indépendant réalisé par Jamie Hook, How Life Should Be (titre provisoire) traite de la réunion fortuite dans une forêt entre une mère (Karen Black), sa fille (Sarah Paul), sa petite fille (Ivy Hook). Notre équipe a assisté au tournage de ce film onirique, rythmé par les humeurs de la flamboyante Black, aussi précieuse que baroudeuse.

Karen Black. Son nom résonne comme une légende du cinéma. Pourtant, certains – jeunes - Européens ont du mal à la situer. Si elle n’a pas décroché de rôles véritablement premiers, Karen Black a une filmographie à faire pâlir les divas d’Hollywood. Elle a tourné tous les ans, sans exception, depuis 1959. Parmi ceux qui l’ont dirigé, on compte : Francis Ford Copolla, Dennis Hopper, Arthur Miller, Alfred Hitchcock. Un coup d’œil à son visage si particulier (synthèse entre les traits de Lea Massari et de Fanny Ardant) nous rappelle qu’elle donne la réplique à Charlton Heston dans 747 en Péril, à Jack Nicholson dans Easy Rider et Five Easy Pieces (nomination aux Oscars), à Omar Sharif dans Crime et Passion, à Robert Redford dans le mythique Gasby le magnifique… Elle parfait le casting de Nashville de Robert Altman en 1976, en interprétant l’inoubliable chanson de country « Memphis », d’après sa propre composition. En 1979, elle tourne dans L’invasion des Piranhas qui fait d’elle une star (stigmatisée ?) du film d’horreur : La vengeance des monstres en 1987, La maison des milles morts en 2003, etc... Elle ne boude pas, non plus, les séries télés (apparition dans Deux flics à Miami en 1989 !).

Quand Karen rencontre Louise

En 2010, Karen Black choisit de donner vie à Louise, personnage coloré, imaginé par la femme du réalisateur, l’auteur Sarah Hook. Pour prendre le temps de se muer en Louise, Karen s’est rendue sur les lieux du tournage de How Life Should Be deux semaines à l’avance et s’est faite appeler Louise par l’équipe du film. « C’est du Louise tout craché !», s’est-elle exclamée à plusieurs reprises, à propos de son double. Le scénario oppose Louise à sa fille, Holly. Holly, incarnée par la tonique Sarah Paul, reproche à Louise de l’avoir abandonnée, plus jeune et se voit reprocher par sa propre fille Iris d’avoir caché l’existence de sa grand-mère… Le nœud narratif est un non-évènement : personne n’est venu à la réunion familiale annuelle dans la forêt, sauf Holly, Louise – étonnamment, puisqu’elle n’est jamais invitée – et Michael qui n’est même pas de la famille. Cet étranger romantique, interprété par le méticuleux Peter Pants, a utilisé l’invitation de son ex-petite amie qu’il veut demander en mariage. Il sera l’élément catalyseur d’une reconstruction. Ce prétexte narratif, presque absurde, permet en réalité d’observer le processus de rapprochement d’une famille, dans un lieu qui sert d’allégorie au foyer : la forêt. Près d’une maison tombée en désuétude, Holly, Michael et Iris font connaissance. Louise gravite autour d’eux, avec la malice et la fragilité des femmes épicuriennes qui portent le poids d’un échec sentimental. Quand on demande à Karen pourquoi elle a accepté ce rôle, elle s’anime : « le personnage de Louise m’émeut. Elle est si drôle. Je choisis toujours de jouer dans des films qui m’amusent ».

Le fard des stars

Sur le tournage, l’attention que Karen Black porte à ses yeux de lynx est saisissante. En dessinant les contours de son œil sur une feuille de papier, afin que la maquilleuse comprenne qu’il s’agit d’un art, elle donne forme à sa vanité : un trait noir, ondulant au-dessus des cils, doit allonger le regard ; de faux cils dissimulent cette courbe qui vient rejoindre une ligne inférieure tracée jusqu’à la pointe extérieure de l’œil ; une ombre noire, inscrite par un fin pinceau trempé dans une eau floutée, donne de la profondeur aux paupières... Son maquillage, masque de star qui a fondu sur le masque de femme, la fige. Karen Black donne l’impression d’être éternelle. Elle entretient son visage comme un trésor inca, restauratrice de sa propre figure mythique. Elle porte les cheveux longs, en cascade sur ses épaules solides de lionne californienne. Les odeurs de poudrier et de Cologne nous rappellent qu’un bout d’Hollywood a voyagé avec elle. Par moments, elle s’inquiète de sa bonne relation avec le réalisateur – éternel badinage entre les artistes et leur muse... Mais Jamie Hook fouette d’autres chats, avec la poigne qui fait de lui l’homme de la situation.

Ensorcelée par Karen, l’équipe technique s’efface quand elle arrive ; moins par servilité, que par curiosité. Elle va prendre des poses de professeur de yoga, chanter « Moon River », modifier le scripte, faire courir costumière et productrice… L’humeur de Karen Black est imprévisible. Mais quand elle décide d’être facétieuse, il lui faut moins d’un quart de seconde pour déclencher le rire en cernant intelligemment l’ironie des situations. Surtout, elle a le plus beau sourire du monde, qui fait qu’on l’aime instantanément, quand elle a décidé d’être aimée.

Un soir, après une semaine de tournage, fatiguée par les prises d’une scène éprouvante, Karen évoque sa rencontre avec un oiseau : « Une nuit, au fond de mon jardin de Los Angeles, un oiseau est venu siffler des chansons. Vous savez, les oiseaux ne chantent pas la nuit. Il était venu pour moi ». Puis, tendrement, elle se met à pleurer. « L’oiseau est mort dans mes mains, j’ai fermé ses yeux ». Un silence se fait. L’énigmatique Karen Black est-elle une éternelle enfant ou une poétesse aux regrets métaphoriques?

vendredi 20 août 2010

Extrait de L'été, Albert Camus

Les villes que l'Europe nous offre sont trop pleines des rumeurs du passé. Une oreille exercée peut y percevoir des bruits d'ailes, une palpitation d'âmes. On y sent le vertige des siècles, des révolutions, de la gloire. On s'y souvient que l'Occident s'est forgé dans les clameurs. Cela ne fait pas assez de silence. Paris est souvent un désert pour le coeur, mais à certaines heures, du haut du père-Lachaise souffle un vent de révolution qui remplit soudain ce désert de drapeaux et de grandeurs vaincues. Ainsi de quelques villes espagnoles, de Florence ou de Prague. Salzbourg serait paisible sans Mozart. Mais, de loin en loin, court sur la Salzach le grand cri orgeuilleux de don Juan plongeant aux enfers. Vienne parait plus silencieuse, c'est une jeune fille parmi les villes. Les pierres n'y ont pas plus de trois siècles et leur jeunesse ignore la mélancolie. Mais Vienne est à un carrefour d'histoire. Autour d'elle retentissent des chocs d'empires. Certains soirs où le ciel se couvre de sang, les chevaux de pierre, sur les monuments du Ring, semblent s'envoler. Dans cet instant fugitif, où tout parle de puissance et d'histoire, on peut distinctement entendre, sous la ruée des ascadrons polonais, la chute fracassante du royaume ottoman. Cela non plus ne fait pas assez de silence.

Gaspard Ulliel : L'odyssée d'une fossette

Un coup d’œil à la filmographie de Gaspard Ulliel rend silencieux : débuts télévisuels à 13 ans aux côtés de Sandrine Bonnaire, 16 long-métrages depuis, la réplique à Emmanuelle Béart, Isabelle Huppert, Vera Farmiga, de nombreux tournages à l’étranger (« Un barrage contre le Pacifique », « The Vintner’s luck », « Ultimatum »…). Le césarisé meilleur espoir masculin de 2005 appelle, cinq ans plus tard, Scorsese par son petit nom. Ils viennent de tourner, ensemble, le nouveau film publicitaire de Chanel pour le parfum Blue. Et Gus (Van Sant) est un bon ami. A-t-on le droit de fricoter avec les dieux ? L’hybris des Grecs, c’est fini, on peut sortir de sa condition aujourd’hui ?
Voyage d’une terrestre dans le ciel d’Ulliel…


Quatre tournages en un an et une montée des marches à Cannes. Absolument… démiurgique ! « Le film de Bertrand Travernier m’a permis de renouer avec le cinéma d’auteur et j’en avais besoin » confie Gaspard Ulliel. La princesse de Montpensier, en compétition officielle, sera diffusée aux Etats-Unis (le distributeur IFC a acheté les droits). « Les films en costume s’exportent bien » s’amuse-t-il, « c’est pourtant un film très français ».

La publicité pour le nouveau parfum homme de Chanel, dont Gaspard Ulliel est le nouvel ambassadeur, sera diffusée en septembre. Le film publicitaire va faire sensation. Derrière la caméra, le fascinant Martin Scorsese. La bande-son ? Les Stones. Tournage à New-York, par une équipe « incroyablement pro, digne d’un long-métrage, dirigée par le chef opérateur qui a conceptualisé l’image de La leçon de Piano, Stuart Dryburgh ». Ce qui l’a poussé à accepter ? « J’ai décliné toutes les autres offres de maisons de parfum. Mais Chanel et Scorsese, ça ne se refuse pas ». Comment il est, Martin Scorsese ? « Drôle et sympathique. Il écrit tout : storyboard, notes d’intention, mouvements de camera, découpages, tout est carré ! ». Et le spot ? « Le film a une vraie énergie, est très accrocheur, visuellement c’est tout simplement magnifique ».

Les parents de Gaspard Ulliel, stylistes, lui ont communiqué le goût des belles formes. « J’aime bien m’habiller, même si je n’en fais pas une obsession ». En effet, ses apparitions dans le rôle de mannequin semblent à la fois naturelles et fugaces. Le roi de la maroquinerie, Longchamps, avait déjà craqué en 2008 pour les lèvres lippues de l’acteur, son corps rond et musclé qui contrastait à merveille avec l’élégance tendue de la fidèle égérie, Kate Moss. Le making of du shooting au café de flore, romantique à souhait, laisse perplexe : on ne sait plus si on est jaloux d’elle, de lui, des deux, de leurs maquilleuses… En mars 2010, Paolo Roversi le shootait pour le New York Times. Ambiance crooner américain, petite moustache, large trench.

Je l’observe défaire le fil de sa carrière, appliqué, soucieux de bien dater le début du tournant international. Dès Un long dimanche de Fiançailles de Jean-Pierre Jeunet, tourné en partie aux USA, il tisse des liens avec ce pays, rencontre des agents, voyage. « Le rôle d’Hannibal a boosté ma notoriété en Amérique ». Je l’observe situer les De Van, Blanc, Webber, Jeunet et autres inspirateurs dans l’histoire de sa vie ; comparer ses mentors Otmezguine et Téchiné, au travers d’hommages sincères ; faire le lien entre rencontres fortuites et rencontres professionnelles, s’en amuser. Mon observation chemine vers le constat suivant : voilà un Apollon bien abordable.

Gaspard Ulliel n’est plus le titi mutique des écrans parisiens. Voix rauque d’ « Hannimal », mâchoires carrées, cheveux plaqués en arrière… Le petit Manech façonné par Jeunet a dorénavant l’allure d’un homme – l’homme du genre rital au visage pâle qui peut faire des dégâts au cœur. Sa jeunesse au vitriol, un quart de siècle derrière soi, Gaspard Ulliel pense à la réalisation. Un moyen de renouer avec ses premières amours qui l’avaient poussé à entamer des études de cinéma à l’université de Saint-Denis. Si le temps sert de gouvernail, il étiole aussi la confiance ; avec la maturité, viennent les doutes : « j’y pense, j’écris, mais je ne me sens pas encore prêt ». Gaspard Ulliel se dit trop perfectionniste. Il le dit en souriant et sa fossette prend vie. Fine et nette, tracée à la lame, elle est une marque de nudité qu’il porte comme un bijou.

Le fait qu’il reconnaisse sans ambages de possibles erreurs de parcours lui donne une longueur d’avance : « j’ai voulu toucher à tout, aux films pointus qui donnent du galon et aux films plus grand-public. Je me suis peut-être planté, les gens du métier ne savent plus où me placer. J’ai fait le pari que la notoriété permet ensuite l’exigence dans le choix de films ». Il s’emballe, légèrement : « Il faut bien la gagner cette notoriété ! C’est un équilibre subtil fait de compromis. Maintenant, j’essaie d’avoir plus de rigueur, comme Sean Penn que j’admire pour ses choix assurés et son parcours sans faute. C’est plus facile aux Etats-Unis, les familles cinématographiques sont moins définies, il y a plus de liberté d’action, on est bien moins vite catalogué ».

Je découvre que les dieux de l’olympe peuvent être écorchés. Dans le petit salon aux volutes de velours de l’Hôtel Particulier de Montmartre, une musique douce nous délasse. Il poursuit sur la réalisation : « Je pense produire un scénario original. Si je devais adapter, ce serait de la littérature ancienne, non contemporaine. Je voudrais faire quelque chose d’intime, sur l’humain ».

Derrière le fantasme, derrière le mannequin, le beau-gosse à la bouche gourmande, il existe un homme aux sensibilités aigues et à la passion fouillée. Cinéphile, amoureux de Tarkovski et Bergman, Gaspard Ulliel aimerait tourner avec James Gray et Paul Thomas Anderson, deux cinéastes modernes aux univers forts et aux styles affirmés. Il tire son chapeau devant Leonardo Dicaprio, dont l’intelligence insaisissable lui a permis de se dévêtir des habits de jeune poupon et d’explorer des terres autrement plus variées : « Dicaprio est un modèle générationnel. Il parait qu’il écrit des préfaces de livres d’art contemporain. J’aimerais beaucoup discuter avec lui ». Enfin, il fait la révérence devant la soyeuse Kate Blanchett, dont il est « le premier fan ». Et si Kate le lui demandait, il habiterait aux States ? « Pourquoi pas. New-York me prend par les tripes, il se passe quelque chose dans cette ville. Scorsese rend très bien compte de cette impression dans « After Hours ».
La déité sera new-yorkaise ou ne sera pas !

samedi 29 mai 2010

Fabrice Dupont : itinéraire d’une oreille pure


Fabrice Dupont, c’est le mythe du self-made man à lui seul. Originaire de Clichy, ce fou de musique possède aujourd’hui les studios Flux - temple de l’enregistrement à New York - et remixe l’hymne de la coupe du monde avec Shakira et les stars africaines Freshlyground.

Fabrice Dupont crée son premier label à 16 ans. Il produit en banlieue parisienne des jazzmen locaux, dont l’organiste Emmanuel Bez et le groupe MAM. Exilé à Boston, diplômé de Berklee, il intègre une boite de multimédias, rencontre sa femme et obtient sa carte verte. En 1998, il produit l’album de son groupe : les Honey And The Bees. Ambiance « Rock/Hip-Hop cassé ». En 2000, il pose ses valises dans un 30m2 à Manhattan, dans l’immeuble légendaire où les Stones, les Black Crowes et les Strokes ont enregistré. Good vibes. Les Honey And The Bees, rebaptisés Slant, sortent leur deuxième album en 2002. « Dix ans trop tôt, ou trop tard », confie aujourd’hui un Fab tanné par les exigences de la production musicale. « Le style était à contre-courant ». Qu’importe, sa technique intéresse. Il rencontre Graham Hawthorne, ange-mentor qui lui ouvre les portes du show business. Il mixe des morceaux pour Marc Ronson et décolle pour de bon en 2007 lorsqu’il mixe pour Jennifer Lopez. Il rachète le bail du studio au 154 2nd Street. Depuis, des noms comme Les Nubians ou Bebel Gilberto lui sont rattachés. Et John Hill, producteur de Shakira, vient de lui confier le remix de l’hymne de la coupe du monde – pour le compte de Sony Music Africa. Quand on demande à Fabrice, jeune papa qui n’a pas eu de vacances depuis 5 ans, si le travail est la clé du succès, il sourit. « Le travail et l’oreille candide ».

jeudi 29 avril 2010

Coup de coeur DVD : You, The Living

You, The Living fait de brèves intrusions dans la vie d’une femme dépressive, d’une groupie triste, d’un couple qui s’engueule, de musiciens du dimanche, d’un laveur de carreau, d’un coiffeur… et de quelques autres « vivants ». Patchwork insolite de destins non héroïques, le film de Roy Andersson ne peut pas être enfermé dans un synopsis.

La mort rode auprès des vivants qu’observe Andersson : la scène de l’enterrement le matérialise, ainsi que l’allégorie beckettienne de la cloche que sonne un barman pour inviter ses clients à passer leur « dernière commande »… Et, parce que les tragédies humaines sont en réalité souvent loufoques, la mort côtoie l’humour. Le film réserve quelques francs fous rires.

Les choix artistiques d’Andersson servent un paradoxe original : les personnages, véritables automates, se révèlent aussi bouleversants d’humanité. Les décors foisonnent de détails de vie, les couleurs pastel renforcent le sentiment de lassitude et de flegme des « vivants », la bande-son crie leur vide intérieur... Mais la caméra, distante, ne s’approche jamais du visage des acteurs et donc, finit par les uniformiser. Ce procédé prive le spectateur du réflexe d’empathie. Le constat de l’échec du vivre ensemble est rendu froidement.

Jacques Tati, Luis Buñuel, les Monty Python, Ingmar Bergman… La critique a attribué toutes les influences à l’énigmatique Roy Andersson, qui ne manque pourtant pas de style. Osons, pour participer à cette cacophonie cinéphile, le parallèle avec Emir Kusturica, dans leur choix partagé de traiter la mort par l’absurde et en musique. Singularité d’Andersson : la raideur de ses plans. Tellement raides, qu’ils évoquent des tableaux surréalistes. Le surréalisme est respecté jusque dans l’onirisme. Les scènes de rêve, racontées sous forme de monologues, sont l’occasion d’éclats poétiques (comme lors du mariage, dans le train).

Les phrases suspendues, les déchirements tamisés, les absurdités, les rendez-vous ratés, l’impunité des petites ignominies filmées, laissent un certain goût amer. Surtout lorsqu’Andersson livre sa vision du sauvetage humain : son atomisation. Mais le malaise est vite rattrapé par la certitude d’avoir rencontré un nouveau maître de l’universel.


Sortie DVD aux Etats-Unis, mars 2010

mercredi 28 avril 2010

Charlotte Gainsbourg aux US : leçon de dignité

La tournée américaine de Charlotte Gainsbourg s’est achevée au Webster Hall de New York le 25 avril. On y était, on a aimé. A quand son prochain album ?

Sincèrement, sans être mièvre, quand Charlotte Gainsbourg entre sur scène, quelque chose se passe. Exposée, sous les projecteurs, elle reste la fille évanescente, fragile et discrète que le cinéma nous a fait découvrir. Mais avec un supplément de charme : celui de la détermination. Une allure, sorte d’entêtement physique à ne pas vouloir céder à l’intimidation de la foule, la rend menaçante.

Elle attrape le micro et attaque avec l’opus Beck. Le public, majoritairement français, crie son nom. Inconsidérément. Parce que franchement, disons-le, sur les 2-3 premiers morceaux, elle n’est pas très sonore Charlotte. Les plus médisants diront qu’elle chante faux, parfois. Mais méfions-nous des désaccords et dissonances voulus par l’expérimental Beck, qui font d’ailleurs l’originalité de l’album… Heaven can wait la réveille, nous aussi.

Etrangement, l’émotion de sa voix transparait mieux dans l’interprétation de son précédent Album, façonné par Air. Le live offre des arrangements nouveaux à ces chansons plus mélodieuses. Les musiciens sidèrent de perfection, les arrangements sont hyper sophistiqués, les instruments se succèdent, insolites (carillons, maracas…), entêtants. Décidemment, Charlotte Gainsbourg est bien entourée.

L’émotion s’intensifie quand la belle rend hommage à son père, en revisitant Hotel Particulier de l’album Melody Nelson. Le gène est intact. Sauf que l’excès du Poinçonneur des Lilas, elle l’a transformé en retenue digne. Vêtue d’un pantalon en cuir, elle rougit souvent. Son aura transperce véritablement dans la deuxième partie du concert. Remerciements bien sentis, poses plus alanguies, clin d’œil à Bob Dylan... Les hommes du public, littéralement envoutés, plissent les yeux.

Le spectacle finit sur un "Couleur café" américanisé par l’accent de la divine Nicole qui accompagne Charlotte à la voix. Chanson dédicacée aux enfants et à la mère de l’artiste, dont on aperçoit le haut du crane à droite de la scène. Jane Birkin, sa fille prodige et ses petits enfants rentreront tous à Paris le lendemain, en famille.

samedi 17 avril 2010

L'école du chill à Williamsburg

Encore un jour où enfiler le jean s’avère impossible. Un jean c’est épais, ça pince les poils des jambes mal rasées, ça ne laisse pas respirer la peau entretenue au lait de rose naturel. Je saute dans mon sari en toile de lin indonésien, me calotte d’un chapeau Annie Hall et file dans les rues alanguies de Williamsburg, Brooklyn.

Amis hipsters bonjour, ou plutôt bonne après-midi. Laissez-moi voir comme vous êtes tous bien relax, tous nés comme ca, la marguerite à la bouche dans un bac en faux sable. J’achète un jus de carotte-cèleri et tire vers l’East River Park, épicentre mondial du phénomène bobo.
Les chiens sont de rigueur, le poil laminé par trop de prélasse en appartement, mais la mine rougie par les multiples possibilités qu’offre cette sortie au parc. Des chiens de tous partis, de toutes orientations, de toutes factions, des chiens ambiance Melting Pot. A côté des toutous-rois, trônent les gamins. Emballée dans des linges épais - non lavables en machine – et posée sur une poussette en bois, la nouvelle génération green crachote tranquillement son lait bio caillé.

J’étale mon drap spécial bronzette, déchausse mes tatanes brésiliennes d’homme et m’abandonne au bruit rassurant des conversations humaines. Au loin, se rapproche le vendeur de glace. Bientôt sa musique de pédophile va titiller mes papilles et je serai obligée de lui acheter un cornet. Lieu de socialisation ambulant, le camion de glace réunit les deux principes cardinaux de la consommation américaine : prix élevé et qualité médiocre. Mais qu’importe, manger une glace c’est chill, soyons chill.

A côté de moi, un groupe de jeunes devise sur l’intérêt de se rendre au Rubulad le soir même. Les réticents invoquent le côté has been du lieu. L’underground a ses codes et le renouvellement en flux tendus des lieux de défonce en est un. A tel point qu’un PMU lambda a de bonnes chances d’être investi un beau jour par la faune underground, érigé au rang de spot cultissime pendant un mois, puis délaissé le mois suivant pour les faveurs d’un autre troquet plus paillasse. C’est ainsi que les américains laissent une chance aux débutants. Les moins blasés plaident la beauté de l’innocence des derniers rencardés qui viendront ce soir – honte suprême – pour la première fois faire claquer leurs derbies sur le sol du « Rub ».

C’est qu’à Williamsburg, on est vite un cancre du chill. Moi, par exemple, il y a quelques mois encore je ne recyclais pas mes règles ! Si si, je faisais encore la vieux jeu à gober des tampons tant et plus, à me tartiner de couches culottes obèses, alors que le keeper et sa douce coupelle me tendaient silencieusement les bras. J’ai compris également qu’acheter des légumes chez le légumier est du plus mauvais goût. Il faut se rendre à la source, là où le légume est cultivé. Certains bio-agriculteurs proposent même à l’acheteur, heu à l’usager, de venir cultiver son aubergine soi-même. La décroissance à quatre-pattes, un programme qui aguiche.

Un peu plus loin, sur la bute d’ordinaire réservée aux concerts néo-undergrounds, un autre groupe géant de jeunes dandies se donne en spectacle. Ils ont installé un lecteur de vinyle qui passe de la musique classique, sont tranquillement attablés et guindés dans des accoutrements d’une autre époque. Mais oui, bien sûr, j’ai entendu parler de ce concept – un poil tard comme d’habitude. Ces nostalgiques font revivre les toiles de Manet en organisant, en costumes, des « déjeuners sur l’herbe ». Ils ont même disposé un lit à baldaquin sur la pelouse qui sert de boudoir bucolique. C’est beau à en chialer. Je réprime une giclée de vomi qui remonte. Je pense à ce qui se passe en Tchétchénie. Merde, sois un peu plus chill bon sang. Chill, voilà, comme ca, chiiiiiiiiiiill.

Un ami américain me rejoint. Il fabrique des barreaux de chaises dans un atelier d’artistes à Bushwick. Il est très respecté de ses pairs. Il boit une bière cachée dans un papier marron. La police ne doit pas savoir qu’à 28 ans, il s’envoie une bière light sur le coup des 17h. Je lui demande ce qu’il compte faire plus tard. On ne dit pas « ce soir », mais « plus tard », parce que le temps est un cycle sans finitude.

Il m’invite à un barbecue végétarien dans le quartier juif. Il précise que je devrais me couvrir les bras et la tête. Merde, c’est chill ça ? Je hasarde un : c’est obligatoire ? Non, c’est respectueux de la tradition, c’est tout, m’explique-t-il. Bien sûr, la tradition c’est ancien, c’est vintage, donc c’est bien. Quelle idiote. Je pense à ce moment là à l’utilité d’un manuel du chill. Mais je me dis que si c’est moi qui l’écris, le bouquin aura un train de retard. Je fais part à mon ami de mon idée de manuel et de mon manque de savoir faire. Je lui propose d’être ma source. Il ne comprend pas ce qu’est le chill. Je réexplique. Toujours pas. J’insiste en montrant un papa pied nu qui croque dans un épi de mais au soja et une maman qui fait du yoga en maillot de bain. L’ami finit par lâcher : « si être chill c’est vivre, alors écris un manuel de vie ».


Petit lexique du chill :

Chill : signifie « décontraction » en anglais (chill out = laisse-faire)
Hipsters : nom initialement donné aux amateurs de jazz (au look soigné-négligé) et donné, par extension, aux bobos contemporains.
Rubulad : haut lieu de la night brooklynoise : 338 Flatbush Avenue. La soirée se passe dans un immeuble désaffecté, à l’entrée cachée, où des artistes sous LSD font des improvisations théâtrales au milieu d’une foultitude de danseurs habillés par American Apparel. A ne pas rater : le vendeur de drogue ambulant porte un gilet de sauvetage.
Keeper : réceptacle à menstruations
http://www.keeper.com/

vendredi 16 avril 2010

L'affaire Jesse James


Fallait pas étaler son bonheur comme de la confiture !!!!

Deux semaines après avoir obtenu un Oscar pour son rôle dans The Blind Side, Sandra Bullock fait à nouveau la une des tabloïds américains, mais cette fois comme Best Cocue of the Year. Son casanova d’ex-pimp, Jesse James, l’aurait trompé avec au moins 3 Romy Schneider aux fesses tatouées. Génial, la boite à cons se remplit toute seule.

Un nouveau serial cheater fait des émules aux pays des donuts : Jesse James a trompé la favorite des américains, Sandra Bullock, avec la féline streepteaseuse sadomasochiste Michelle Mc Gee. Michelle a ramassé 30 000 dollars pour sa confession aux gracieux journalistes de Star. Depuis, c’est l’escalade. La non moins sublime Melissa Smith a saisi elle aussi l’occasion de publier ses mémoires : ses échanges sms avec Jesse sont disponibles en ligne (notez que le pseudo de James laisse pantois : Vanilla Gorilla). Le 18 mars, Jesse James a du s’excuser publiquement pour son comportement de gros lard compulsif, et vous connaissez la musique, il va bientôt finir dans un centre pour dégénérés de la verge, affichant un minois de repris de justice en rédemption, il va cracher des millions à son avocat...

La vraie question qui devrait faire débat : lequel des deux, Tiger Wood ou Jesses James, a agit avec le plus de panache ?

Tiger Woods a 2 enfants, Jesse James en a 3. La femme de Tiger Woods était enceinte de son deuxième enfant quand il l’a trompée, Sandra Bullock serait enceinte de son premier enfant en ce moment même. Laquelle des deux histoires sent le plus les égouts ? Nous sommes descendus dans la rue, demander l’avis de celui que l’on a bafoué sans vergogne, de la vraie victime de ces scandales sexuels : le peuple américain.
(Dès 6'35)

L’affaire Tiger Wood

Vous avez certainement eu vent des méandres sexuels de l’homme à la canne agile, du meilleur viseur de trous au monde, du tigre des bois : Tiger Wood. Les infidélités du champion de golf ont fait le tour du monde ces quatre derniers mois, ainsi que sa tête de chien battu implorant le pardon face à une presse américaine qui se déchaine. Je pourrais baver le discours suivant : ce scandale est révélateur de l’état d’esprit américain, de l’hypocrisie ambiante, du voyeurisme masochiste couvert par un puritanisme opportuniste.

D’abord je prendrais le risque de vous perdre. Mais surtout, je voudrais que la Boite à cons soit concrète. Allons chercher la bêtise compacte, brute, la bêtise sous forme de pépites.
Prenons d’abord les protagonistes. Tiger Wood aurait trompé sa femme Elin avec une dizaine d’autres femmes depuis 2 ans (le National Enquirer offrait 18 maitresses au tigre avant hier, mais ce canard pêche par optimisme c’est bien connu). Les maitresses officielles sont : Jamie, Jamie (2 Jamies, joli coup le tigre !), Cori, Mindy, Rachel, Kalika, Holly, Joslyn, Loredana. Dois-je le préciser, toutes ont la grâce de Jackie Kennedy. Mindy est serveuse au Orlando. Elle confie aux autorités 2 informations clés : 1) avoir couché avec le tigre pendant tout le temps où sa femme était enceinte et 2) que le tigre n’aime pas porter de préservatifs. Holly et Joslyn sont 2 stars du X. Leur témoignage permet de dater le premier faux pas du tigre, jeune marié : sa bachelor party. Oups, heu non, pas encore jeune marié. Loredana, et c’est ma préférée, est pute. Pute, tout simplement. Moi je trouve ca courageux d’être pute et d’oser mettre sa carrière en danger pour les besoins de l’enquête publique. D’ailleurs je pense que pour le film qui sortira dans 10 ans sur la vie de Tiger Wood, il faudrait chiader le personnage de la pute-confesse (pas qu’on fesse). Je pensais à Anna Nicole Smith. Mince, elle est morte. Le cinéma d’auteur américain perd tous ses talents.
Pour terminer avec les protagonistes, je vous invite à devenir également protagoniste de l’affaire Wood en allant sur le site The Hollywood Gossip qui propose de voter en ligne pour l’une des maitresses du tigre, votre préférée, celle que vous aimeriez bien, disons, emmener golfer.

Maintenant les faits : Tiger Wood se serait fait choper un soir de novembre par sa femme alors qu’il venait d’avoir, avec une des Jackie Kennedy susnommées pour copilote, un accident de voiture. Trop bête. Elin aurait perdu patience et frappé le capot de son mari avec un… un… un club de golf ! Pourquoi Adidas ne saisit pas l’opportunité pour faire de cette scène une pub me dépasse. Passons. Dans son très solemnel "discours officiel d’excuses publiques" (on attend toujours un mot de Dominique Strauss Khan), Tiger Wood dit NON à ses concitoyens. NON je ne suis pas battu par ma femme. Je vous propose d’écouter ce grand moment de rachat d’appareil génital masculin.

Cette partouze géante a une dimension financière. Tiger Wood aurait perdu dans les 80 millions de dollars, ce qui revient en cout équivalent à une décennie de consommation quotidienne de pute. Dommage. Est-ce une raison pour ne plus miser sur le tigre ? Pour le chroniqueur financier Nick Kapur, pas du tout. Sur le site Motley Fool, Nick remet en cause les décisions des sponsors du tigre (General Motors, Pepsi, Accenture…). « Si Tiger était une action, explique-t-il, je l’achèterais maintenant, pas parce que c’est un chouette type et pas parce que je me sens mal pour lui, mais parce qu’il est bradé. Il est un actif en solde, d’une valeur économique folle et prometteur sur le long terme ». Dieux seul sait combien doivent valoir les actions Bill Clinton aujourd’hui.

Pour finir, je répondrai à la question qui brule les lèvres de tout le monde ? Comment va le tigre aujourd’hui ? Et bien, je ne vais pas vous le cacher… mal. Vous n’êtes pas sans ignorer qu’il a été interné dans une clinique de désintoxication sexuelle. Mélangé avec ses pairs, les riches sexual addicted du Mississipi, le tigre avait des chances de reprendre du poil de la bête. Malheureusement, je descends ce matin acheter mes donuts au peanet butter et je tombe sur la première page du National Enquirer qui me plonge dans un désarroi total : Tiger cheated in Rehab, Le tigre a trompé dans la clinique. Le cochon, il a du secouer une infirmière. J’achète 4$ ma bible, je tourne les pages, j’apprends au passage que Fergie est enceinte de Josh Duhamel, et découvre que Tiger cheated in Rehab… en refusant d’admettre son addiction, en arrivant en retard aux cours et en refusant de prendre des cachets. L’article, de 4 pages, dénonce l’attitude criminelle de réfraction à la réduction de pulsions sexuelles. Et en Europe on commercialise le Viagra pour femme. Faudrait se mettre d’accord dans les laboratoires !!! On fait bander la population ou on lui réduit le kiki en bouillie ?

La boite à cons : raisons d'etre

Qu’est-ce que la boite à cons ? Ouvrons-la pour voir. Qu’est-ce qu’on y trouve ? Des américains, bien sur. Pourquoi des américains ? Parce que la mauvaise foi est l’un de mes commandements et que critiquer un pays dans lequel on a délibérément choisi de s’installer est un excellent principe de mauvaise foi. Deuxième raison, plus ronflante, je trouve que l’antiaméricanisme culturel « renseigné » a perdu de sa superbe. Les dénonciations contre les fast foods, la télé-réalité, l’hyper-production de films débiles, ont baissé d’un ton ces 5 dernières années. Et pour cause : le mode de vie américain s’est bien exporté, a bien été assimilé, bien digéré par notre génération goulue de consommation. Franchement, est-ce qu’une pétition contre Mac Donald glanerait beaucoup de signatures aujourd’hui en France ? C’est un débat d’arrière garde. Même si l’on est contre la culture américaine (apanage des milieux élitistes ?), on ne milite plus activement contre elle. C’est une simple posture, convoitée bien souvent par les artistes.
Donc l’anti-américanisme semble s’être déplacé vers des terrains plus populaires, plus consensuels : contre Bush, contre Guantanamo, contre les premiers pollueurs au monde, contre les tenants du capitalisme (si on appartient à la frange révolutionnaire en voie d’extinction des altermondialistes). Mais la vaste mascarade états-unienne autour de la société du spectacle, l’obsession du divertissement et des loisirs, la culture de l’excès, ont cessé de faire l’objet d’une critique vive et argumentée.
La plus belle incarnation de cette critique est sans doute le film Nashville de Robert Altman. Ca tombe bien, c’est un américain qui critique les américains (he he, c’est ma caution non xénophobe). Rendons hommage à Altman, devenons de classieux anti-américains.

mardi 13 avril 2010

Le New-Yorkais, espèce saturée

Le New Yorkais est stylé, décalé, étranger, promu, rencardé, pressé, angoissé, impromptu, drogué, déjanté, second degré, bondissant, fumiste, passionné, bigarré, hilarant, déconcerté, bouleversé, de passage, fantaisiste et mélomane. Et oui, le New Yorkais est bel et bien saturé.
Ce constat m’est apparu mardi soir, après une aventure pour le moins épique sur la ligne L et un brassage névrotique de lieux communs au bar le Diamond.
Entre la 1st Avenue et Bedford, le tohu bohu du métro ramenait délicatement les usagers les uns contre les autres. Regroupement involontaire, inconfortable et moite, toléré pour le seul éparpillement qu’il augure. J’exerçais moi-même une légère pression, presque imperceptible, sur l’épaule de ma voisine de droite, debout au cœur de la rame. Nos manteaux de grosse laine se bécotaient subtilement. Le ralentissement du métro rendit la pression du contact plus évidente, bien que tout à fait raisonnable pour des inconnues. Tout au plus l’occasion pour nos mailles laineuses de sortir la langue. Mais cette nouvelle étape dans le rapprochement des corps chauds déclencha le redoutable déclic de saturation chez ma voisine.
La saturation du new yorkais est imprévisible. Elle est l’incontrôlable bascule vers son incivisme refoulé. La belle s’est écartée de moi, a soufflé entre ses dents, m’a foudroyé du regard. Ses tresses hippiesques se sont dressées, furibondes, gendarmesques. Je présentai à l’outragée un net pincement de lèvres, signe entendu d’excuses embarrassées. Trop tard, le vase était plein et j’avais provoqué son débordement. Quelle infamie avais-je commise ! J’en rougissais. Mais comment savoir à l’avance que ce vase-là était prêt pour la vidange ?
Pendant les deux longues minutes qui suivirent l’incident, la jeune femme, portrait craché de Gena Rowlands dans Gloria, irradiante dans son négligé sophistiqué, se débattit intérieurement pour ne pas m’abattre au milieu de la foule. Elle s’agitait, se retournait nerveusement, mesurant son pré carré, s’assurant qu’aucune masse anonyme ne viendrait lui voler le firmament presque éteint de son énergie.
Arrivées à Bedford, portées par la vague séditieuse des évadés de Manhattan, nous fumes propulsées sur le trottoir. Et je la vis disparaitre rapidement au coin de la 7ième , derrière le Thrift Store. Quand l’effleurement de l’autre devient insupportable, à quel degré de misanthropie en sommes-nous ?
Je pris le chemin du Diamond, situé entre Franklin et Meserole. Sarah m’y administrerait un verre de réconfort, servi avec ses mains de bonne mère. Mieux que cela, Sarah me présenta un ancien habitué du bar, tout juste revenu d’un voyage humanitaire au Tibet. Enclin à renouer avec le passé et à fêter son statut de rescapé, John me servit un verre. Quatre portos plus tard, nous débattions chaleureusement. Je suis française, j’aime débattre lorsque je bois.
Je prononçai de longs mots que je ne pensais pas connaitre en anglais, pressée par John-le-tibétain de justifier mon non-engagement humanitaire. « Ne penses-tu pas que prendre position dans un pays dont l’histoire et la culture nous échappe puisse être présomptueux ? Comment hiérarchiser les causes ? Pourquoi le Tibet et pas le Darfour ? ». John se mit à trembler d’énervement, à sautiller sur son siège (j’apprendrais par la suite que John était en phase de redevenir alcoolique). « Vous les Européens, bande de mous, ne nous donnez pas de leçons ! Il faut choisir un combat et le mener à bien, peu importe l’endroit. Putain, merde, tu n’vois pas ce qui se passe au Tibet à la télé, ça te suffit pas ? ».
C’est à ce moment que la vérité se pencha vers moi, depuis l’épaule frémissante de John. La démangeaison capiteuse ressentie par tous les new yorkais, cette énergie exaltante transmise par le sol de Gotham et racontée par tous les cosmopolites du monde – plutôt encouragée, entre nous soit-dit, par une consommation hallucinante de café –, cette palpitation des sens est très certainement la phase qui précède la crise de nerf. Voilà ce que les artistes viennent chercher à New York : les prémisses du craquage, l’énergie du tressaillement. Ne riez pas, la durée moyenne de stationnement du New Yorkais est de trois ans seulement ! Le troc d’appartements, c’est safe ?

Voyage dans l'éternité de Cartier Bresson

« La photographie est un couperet qui dans l'éternité saisit l'instant qui l'a éblouie »
Henri Cartier Bresson a marqué par son incomparable créativité la photographie du XXème siècle. Portraitiste visionnaire, photographe humaniste, il a consacré sa vie aux images et à l’information. Le MOMA offre – en collaboration avec la Fondation Cartier Bresson de Paris – la première rétrospective majeure de l’œuvre de l’artiste depuis sa mort en 2004. L’exposition s’envolera ensuite vers Chicago, San Francisco, puis Atlanta.
Après la seconde guerre mondiale, Robert Capa et Henri Cartier Bresson, à travers la formation de l’agence Magnum, avaient lutté pour la démocratisation du photojournalisme. En quête de connaissance, Cartier Bresson n’a cessé dès lors de combiner photographie et étude sociale.L’entrée de l’exposition donne le ton : les murs sont recouverts de cartes du monde sur lesquelles sont tracées en rouge vif les multiples pérégrinations du photographe. Le voyage au pays sans frontière de HCB commence, prenant aux tripes les nostalgiques des époques et des lieux.
Paris, 1968. Une première salle, aérée, sans lourdeur chronologique de procession, ouvre sur Paris et sa révolte : manifestations Place de la République et au Père Lachaise. Des photos d’une neutralité franche, sans parti pris. Les locaux de la BBC à Londres font leur apparition. Puis, les lieux et les impressions se mêlent : le Caire en 1950, le Michigan en 1960, l’Inde de 1947, l’Iran, l’Italie, la Turquie, l’Espagne, la Roumanie, le Nebraska...
Au milieu, quelques scènes bucoliques attrapées en Lozère, au Mans et dans le Vaucluse, suffisamment puissantes et animées pour qu’un français en exil s’imagine dans un film de Jacques Tati.
Une deuxième salle présente le reportage de Cartier Bresson en Chine lors du Grand Bond en Avant en 1958. Ce projet a connu un succès limité, alors qu’il a généré de véritables bijoux d’archives. Le coup de maitre du conservateur Peter Galassi, pour The Modern Century, réside justement dans le mariage subtil entre des œuvres dites majeures et d’autres très peu connues, même des experts. Le livre de l’exposition est d’ailleurs déjà considéré comme un ouvrage révolutionnaire dans l’histoire de l’art.
The Modern Century présente 300 photographies – dont 220 ont été prêtées par la Fondation Cartier Bresson, créée en 2002 – et resserre le lien étroit entre l’artiste et le musée qui l’avait accueilli en 1947.
Les princes… et les autres
Le luxe des artistes est le paradoxe. HCB en cultivait un de taille : l’amour du photojournalisme – avec une certaine idée de l’objectivité – et l’adhésion au procédé surréaliste d’embellissement du réel (rendre le monde plus surprenant qu’il ne l’est réellement). Cette conception de la photographie poussera HCB à produire certains clichés plus lyriques, assez peu connus : des femmes nues, lascives, recouvertes d’eau, des paysages romantiques au Japon, … Trésors que le MOMA livre au fil de la visite.
« La rue est un théâtre, nos gestes sont des histoires ». L’éventail des gestes que Cartier Bresson a photographiés est large. Son œil s’est posé sur des prostitués mexicaines et sur des princes anglais. Sur la pellicule de l’artiste se rencontrent Henri Matisse et Christian Dior, Richard Avedon et le Roi George VI, Francois Mauriac et Coco Chanel, Albert Camus et Truman Capote, Jean Paul Sartre et Madame Lanvin, Simone de Beauvoir et Georges Duhamel, Pierre Bonnard et Jean-Marie Le Clézio, Giacometti et Colette… Ces grands noms n’ont pas détourné HCB de sa curiosité pour l’homme de la rue. Dans la fugacité d’un cliché où un membre de l’académie française, rehaussé par son chapeau Napoléonien, croise sur le même plan un travailleur, se mesure la volonté de HCB de décrire la matière humaine plus que son ordre.
Autre preuve du scepticisme mondain de l’artiste : le traitement du discours du Général de Gaulle. La photo, prise à Aubenas, montre des petites vieilles entassées sur un escalier, crispées dans leur attention aux mots du Général.

Non ma fille tu n'iras pas danser à New York

La cinquième réalisation du désormais incontournable Christophe Honoré a dépassé les 400 000 entrées en France ! Non ma fille, tu n’iras pas danser, émouvant huit clos féminin, a séduit le public new-yorkais du festival Rendez-vous with French Cinema. Le maestro et sa muse, Chiara Mastroniani, expliquent la mécanique de leur brio.

Il semblerait que vous tombiez amoureux de vos acteurs : avant, Louis Garrel, maintenant Chiara Mastroiani. Qu’est-ce qu’il faut dégager pour mériter votre amour de cinéaste ?

Christophe Honoré : Je travaille souvent avec les mêmes acteurs, donc des rapports un peu sentimentaux peuvent émerger, autour du nœud qu’est la fidélité artistique notamment. Je sais qu’il y a d’excellents acteurs français avec qui je ne jouerai jamais, parce que nous n’avons pas la même idée du cinéma. J’aime que les acteurs fassent preuve d’exigence dans leur choix artistiques. Je ne serai jamais complètement exhaustif sur la question des attraits des comédiens, c’est assez diffus. J’apprécie les acteurs rapides, faisant preuve de vivacité, mais aussi délicats dans leur jeu. Avec Chiara, en apparence, nous avions peu de choses en commun. Mais, en réalité, nous partageons le même imaginaire, ce qui est essentiel à la création.

Si vous deviez décrire Lena avec deux adjectifs ?

C. H. : Lena est déconsidérée et teigneuse. Elle refuse que sa famille la considère comme une adulte déclassée, elle se bat contre ce préjugé.

Laquelle est la plus libre : Lena, sa sœur ou sa mère ?

C. H. : Lena est la plus libre, la plus affranchie. On mesure sa liberté au fait que c’est elle qui en paye le prix fort : la détresse. Je suis sartrien : celui qui mène l’action est celui qui est dans une position de liberté. Ces trois femmes ont contemplé la tentation du départ après l’adultère. Seule Lena est partie.

La famille de Lena est-elle un refuge ou une prison ?

Christophe Honoré : Les liens du sang sont des liens toxiques. Le rapport des parents aux enfants est toujours un abus de pouvoir. J’en parlais déjà dans mon roman « Infamilles ».

Chiara Mastroiani : Lena est confrontée à une bienveillance mal dirigée. Elle vit dans l’adversité permanente face à une famille qui est dans la sollicitude. Je crois que ses parents cherchent aussi à se rajeunir en l’infantilisant. Quel adulte peut-on devenir pour ses propres parents ?

Les acteurs masculins ont des accents. Est-ce pour les rendre étrangers à l’univers féminin ?

C. H. : Oui, je voulais qu’ils soient des pièces rapportés et que le film se concentre sur les femmes.

L’intermède du conte breton sert-il l’analogie entre Lena et la princesse ou dénonce-t-il la persistance du poids des traditions ?

C. H. : Tout de cela à la fois. Cette légende, en tant que breton, je la connais bien. Elle est symptomatique de la manière dont sont asservies les femmes : on joue sur leur culpabilité.

Le personnage interprété par Louis Garrel déclare « on se découvre soi-même à travers le renoncement ». C’est votre idée ?

C. H. : J’arrive à un âge où l’on trie ce à quoi on a renoncé et ce qui reste possible, surtout quand on fait mon métier. Etre cinéaste, c’est apprendre à renoncer au cinéma qu’on ne fera jamais. Vous n’êtes jamais votre cinéaste préféré, ou alors c’est insupportable.

Vous avez renoncé à quel cinéma ?

C. H. : A mes débuts, j’ai cru que je n’étais pas un réalisateur français. Que la tradition romanesque française des longs dialogues ne me nourrissait pas. Inspiré par des artistes comme Pasolini, je me suis inscrit dans un art cinématographique de prose plus que de poésie et je pensais être un créateur d’images. En réalité, la littérature - et donc la teneur Nouvelle Vague - rode autour de moi, certainement à cause de mon passé d’écrivain. Mes deux premiers films, plus en phase avec un genre que j’admirais, ne m’ont pas apporté autant de plaisir de mise en scène que les derniers, plus « français ». Je ne regrette pas du tout mes débuts, qui ont une fébrilité intéressante. Il faut se méfier de la perfection. Jacques Rivette est à cet égard un cinéaste majeur pour moi, parce qu’il a de l’amitié pour les défauts de ses films, qu’il a su cultiver le gout de l’inachèvement.
Qu’est-ce qui vous vient le plus facilement, l’écriture scénaristique ou la réalisation ?

C. H. : Ce qui me coute le moins est le montage, je n’ai pas de scrupule à me séparer des plans superflus et je prends presque un plaisir enfantin à monter et démonter. J’attache beaucoup d’importance au scénario, mais je ne le sacralise pas, cela reste un brouillon, un papier sur lequel on pose les tasses de cafés. La réalisation est certainement plus inconfortable pour moi. Mais il s’agit justement d’un exercice qui réclame de l’inconfort : c’est dans la contrainte que l’on crée le mieux.

Chiara, ce rôle est-il différent des autres ?

Chiara Mastroiani : Oui. Christophe honoré m’a offert un univers inattendu. Cela avait un peu commencé avec Arnaud Desplechin. Grace à eux, je me suis libérée artistiquement des choses de l’adolescence qui empêtrent. Il faut bien qu’il y ait des avantages à vieillir !

Non ma fille, … esquisse des sujets de société tels que la culpabilisation des femmes et le célibat des jeune mères. Votre cinéma devient plus social ?

C. H. : Surtout, je ne veux pas que mes films soient assimilés à des sujets de société cernés. La mode du calibrage thématique des films me déplait. La force du cinéma français est d’être indécidable, de conserver un flou sur ce dont il parle. Lena élève ses enfants seule. Le rapport d’adulte, avec son fils, est inversé. Ma génération a été sur-couvée par ses parents (à cause de l’insécurité liée au chômage, au Sida…) et donc déresponsabilisée. Par compensation, cette génération a tendance à sur-responsabiliser ses enfants, à les traiter très tôt comme des adultes. Ce rapport social est abordé dans le film, mais il n’est pas central.

Ah oui, dernière question hyper importante : pourquoi déshabillez-vous systématiquement Louis Garrel ?

C. H. : Parce qu’il s’habille mal !

Le Bel Age, pour lancer sa carrière

Présenté en compétition au Festival de Locarno et au Rendez-vous with French Cinema de New-York en mars 2010, Le Bel Age a offert une nomination aux Césars à la jeune Pauline Etienne. Premier long métrage de Laurent Perreau, le film confronte deux générations d’acteurs : l’inaltérable Michel Piccoli et les très naturels Pauline Etienne et Clément Roussier.

Pourquoi avoir choisi le thème de l’adolescence, terrain aux stéréotypes ?

Laurent Perreau :
Je n’ai pas formulé le choix arrêté du thème de l’adolescence. Je me suis avant tout intéressé à la confrontation d’un personnage vierge, animal et impulsif au monde qui l’entoure. Claire n’a pas de personnalité, elle cherche à se définir. Ceux qui se penchent sur son berceau, comme son grand-père - interprété par Michel Piccoli -, lui donnent corps. Claire me fait penser à un petit soldat qui essaye de tracer une ligne droite. La même ligne que dessine sa nage, dans les scènes de natation. Si je me suis intéressé aux problématiques de l’adolescence, c’est dans leur dimension physique plus que métaphysique.

Il y a peu de dialogues dans votre film. L’incommunicabilité sert-elle de trame de fond ?

L. P. : Claire et son grand-père, Maurice, expérimentent l’apprentissage de l’autre. L’amour est un sentiment qui s’apprend, qui se domine. Or Claire, au début du film, ne maitrise pas ses sentiments. Elle va y parvenir peu à peu, entrer en contact avec son aïeul, découvrir que lui non plus n’a pas su maitriser ses sentiments de jeunesse – c’est l’objet de la confession de la scène de fin. J’ai filmé le rapprochement de deux solitudes, plus que l’incommunicabilité des êtres.

On reproche souvent au premier film leur densité. Comment vous êtes-vous préservé de cette surcharge ?

L. P. : Je n’ai pas fait un film à messages, mais un film d’impressions. J’ai insisté sur l’aspect sensoriel des choses, en suggérant le ressenti. Le cinéma contemporain pêche, selon moi, par excès de psychologisation, par bavardage. Toutes les causes des attitudes des personnages sont expliquées au spectateur. Donner trop de sens aux événements, c’est finalement faire preuve d’une grande naïveté. Je voulais un film un peu brut.

La grande qualité du film est en effet la sensualité des plans. Quelle technique permet un tel rendu ?

L. P. : Avec Céline Bozon, directrice de la photographie, nous nous sommes entendus sur un principe de départ : les personnages de Claire et de Maurice seraient filmés avec des pellicules différentes. Pour Maurice, la pellicule, saturée et tirant un peu vers le noir et blanc, amplifiait le romanesque. La pellicule utilisée pour Claire était plus colorée. L’effet caméra sur l’épaule soulignait l’inconfort de Claire, alors que la manière de filmer Maurice était plus posée, plus construite et relayait l’attitude contemplative du vieil homme. Ces ruptures techniques ont généré une certaine sensualité.

Comment dirigez-vous vos acteurs pour qu’ils soient aussi naturels ?

L. P. : Nous avons auditionné beaucoup d’actrices françaises pour le rôle de Claire. Je ne voulais pas d’une actrice qui minaude, abimée par le cinéma. Quand j’ai vu Pauline, j’ai immédiatement su qu’elle avait la trempe d’une Claire. Dans la salle de casting, Pauline était debout, au fond, appuyée à une colonne. Je l’ai trouvé butée dans sa gestuelle, juste ce qu’il fallait pour le rôle. Clément aussi est un acteur naturaliste, par opposition au tragédien qu’est Michel Piccoli. Sans doute, le calque entre le tempérament des acteurs et celui des personnages de mon film, a facilité la justesse du jeu. Pauline est timide et déterminée, Clément est romantique et Michel Piccoli est à la fois secret et extravagant…

Etes-vous d’accord avec le parallèle qu’observe Laurent sur votre caractère et celui de Thomas ?

Clément Roussier :
Oui, il y a certainement une matière commune. Mes proches ont noté des similitudes entre les aspirations de Thomas et les miennes (l’écriture, les voyages). Mais mon petit frère ne m’a pas reconnu dans la peau de Thomas - le débit de paroles et la façon de marcher notamment -, ce qui m’a rassuré quant à ma composition. Je ne suis pas venu devant la caméra en pensant être moi. Pour mon premier film, j’incarne un jeune homme aérien, un peu rêveur. Très franchement, je ne m’attendais pas à la proposition d’un rôle de boxeur ! Le personnage de Thomas m’a plu justement parce que son romantisme est atténué, pas grandiloquent. Laurent a fait du désir d’ailleurs de Thomas une quête maitrisée. Son imaginaire se mêle à une forme de pragmatisme : il sait ce qu’il veut.

Et après Le Bel Age, que faut-il vous souhaiter à tous les deux ?

Laurent Perreau : Un Oscar ? (Rires). De faire de bons films, évidemment. Et en moins de trois ans : c’est le temps qu’il m’a fallu pour mener à bien Le Bel Age ! J’écris un nouveau scénario en ce moment.

Clément Roussier : De prolonger le plaisir de jouer pour des cinéastes que j’admire. En tant qu’acteur, on existe simplement à travers le désir des autres. J’espère arriver à nourrir ce désir. Je viens de tourner dans le film L’appel du 18 juin, aux cotés de Michel Vuillermoz, que je respecte beaucoup.

New York, ca vous évoque quoi ?

Laurent Perreau : Un roman : « L’Attrape-Cœurs ».

Clément Roussier : Une question : où s’en vont les canards quand les lacs sont gelés ?

Malevitch in focus : du non-objectivisme au suprématisme

La rétrospective new-yorkaise de Kazimir Malevitch surprend par sa sobriété. Six tableaux de l’icône suprématiste russe recouvrent les murs de la petite salle du Guggenheim. L’intérêt de l’exposition n’est certainement pas dans la profusion d’œuvres présentées, mais dans le caractère inédit de l’évènement : voilà 83 ans que ces tableaux n’ont pas été réunis.
En 1927, Kazimir Malevitch connaissait un succès immense lors de la controversée Great Berlin Art Exhibition, succès jamais égalé par un autre peintre russe depuis - même Kandinski ! La foule d’initiés berlinois avait su apprécier la progression subtile de la peinture cubo-futuriste de Malevitch vers un suprématisme iconoclaste. Il aura fallu attendre plus de huit décennies, pour que le public américain puisse faire le même constat. Le Guggenheim de New York s’est chargé de braver les difficultés liées au rassemblement des toiles du russe moderniste. Le trouble jeté, pendant l’entre deux guerre, par le gouvernement russe sur l’authenticité des créations de Malevitch a rendu ses héritiers excessivement prudents. Depuis la mort de l’artiste en 1935, les prêts de tableaux accordés aux musées sont plus que rares. Du 19 février au 30 juin 2010, Suprematist Painting côtoiera Painterly Realism of a Football Player…
Morning in the village after Snowstorm (1912) est le deuxième tableau encore figuratif que l’exposition présente, après le très cubiste Desk and Room (1913). La tendresse de Malevitch pour le milieu paysan y est visible. La géométrie abstraite pointe sur cette toile, dont le trait agité rappelle celui de Fernand Léger. Dans Suprematism (1915) – tableau emblématique du courant que Malevitch fonde à cette époque – l’artiste rompt définitivement avec le figuralisme et dépasse l’influence cubo-futuriste. Sa peinture, déjà abstraite, s’affirme dans la géométrie. Les formes unicolores disposées sur la toile montrent l’infinitude de l’espace.

Entretien avec Pierre Vimont, ambassadeur de France aux Etats-Unis

Votre arrivée en poste s’est faite sous de bons auspices, les relations franco-américaines étant, depuis 2007, meilleures. Comment se matérialise cette amélioration ?

Pierre Vimont : Le discours de Nicolas Sarkozy devant le Congrès des Etats-Unis en novembre 2007 invitait à « renouveler ce pacte d’amitié et d’alliance scellé à Yorktown entre Washington et Lafayette ». Cette déclaration a donné un nouvel élan aux relations franco-américaines. La France s’est montrée dès lors plus déterminée dans son rapport avec les Etats-Unis, notamment à travers le dossier de la rénovation de ses relations avec l’OTAN. Depuis son élection, il y a neuf mois, Barack Obama est venu deux fois en France : lors de sa tournée européenne en avril 2009 et pour la commémoration du débarquement en juin, ce qui est un record sur une si courte période. Délégations croisées et échanges téléphoniques quotidiens : le dialogue franco-américain s’est intensifié depuis le couple Sarkozy-Obama. Les expériences françaises intéressent. Les Français établis aux Etats-Unis sont également plus enclins à participer à la vie politique et économique américaine, comme si leur intégration était plus profonde aujourd’hui.

En quoi l’administration Obama se différencie-t-elle de la précédente dans le rapport qu’elle entretient avec les représentants français ?

P. V. : L’administration Obama fait la promotion de la tolérance. George Bush n’aurait certainement pas fait le discours du Caire, sur l’invitation au respect mutuel des Etats-Unis et des pays musulmans. Le souci d’équité social est aussi une préoccupation manifeste de la nouvelle administration. La démarche de réformer le système de santé américain nous parait juste et nous la défendons. La ligne de conduite de l’administration Obama est en phase avec la politique étrangère de la France. En tant que représentants de cette politique, nous bénéficions d’une meilleure écoute.

Quels sont les dossiers de relations internationales brûlants que vous traitez à Washington ?

P. V. : Les dossiers de l’Afghanistan, de l’Iran et du Liban sont très importants. Les positions françaises et américaines sont très proches. Les questions de fond à venir portent notamment sur le changement climatique, la révision du Traité de non prolifération et l’avenir de l’OTAN. A nouveau, les positions françaises et américaines convergent. Les américains sont très demandeurs des idées françaises concernant l’avenir de l’OTAN. Nous sommes également tournés vers notre présidence du G20 en 2010.

Et sur le plan transatlantique, quels dossiers vous semblent stratégiques ?

P. V. : Nous suivons attentivement le calendrier électoral américain. Chaque élection ici peut avoir des conséquences importantes en matière de relations internationales. Parmi les dossiers à dimension stratégique pour les entrepreneurs français, retenons les ambitions américaines de réforme du secteur des transports. Dans le domaine du train à grande vitesse, les Etats de la Californie, du Minnesota, de la Floride et du Texas, devraient faire appel à des constructeurs. La France a une grande expertise dans ce domaine, ainsi que dans celui de la refonte des utilities, annoncée aux Etats-Unis. Enfin, nous appuyons l’offre d’EADS sur l’important marché des avions ravitailleurs. Nous suivons de près les progrès d’EDF et d’Areva, concurrencés par les Sud-Coréens et les Japonais, dans le dossier du nucléaire américain.

Les américains sont-il prêts à parier sur le nucléaire ?

P. V. : Le dossier nucléaire est un sujet sensible. Les Etats-Unis semblent prêts à faire le choix du nucléaire, mais de fortes résistances régionales freinent encore cette évolution. Les Californiens sont assez réservés vis-à-vis du nucléaire. Barack Obama est resté prudent dans ses discours, mais plusieurs parlementaires comme John McCain ou Lisa Murkowski défendent le réaménagement des centrales. Les désaccords se concentrent sur les questions gestion du stockage et des déchets. Si un certain clivage entre Démocrates et Républicains se dessine, tous s’entendent sur l’urgence de réduire drastiquement l’utilisation du charbon comme ressource énergétique.

Quels conseils donneriez-vous aux français désireux de s’implanter aux Etats-Unis ?

P. V. : A Rome, fais comme les Romains. Pour réussir aux Etats-Unis, il faut s’américaniser. Les filiales françaises établies ici doivent passer pour des groupes américains. Les américains sont un peu chauvins dans leur consommation. Mon deuxième conseil serait de comprendre le fonctionnement fédéral de ce pays. Les lois sont très différentes d’un Etat à l’autre. Connaître les lois de l’Etat d’implantation est absolument indispensable pour un entrepreneur. A moins qu’il n’ait un avocat de confiance. Aux Etats-Unis, les hommes de loi sont les maîtres du monde. Enfin, puisque l’initiative privée est toujours privilégiée, je conseillerais de savoir saisir les bonnes opportunités et d’être flexible.

La culture américaine est parfois dénoncée en France comme violente, notamment pour ce qui est du droit social. Etes-vous d’accord avec ce constat ?

P. V. : C’est un constat qui trouve ses racines dans l’histoire des Etats-Unis. Les ancêtres américains, les Pilgrims, symbolisent la force dans l’adversité, dont les américains ont hérité. Cette force peut se traduire parfois par une certaine rudesse dans les rapports humains. Mais elle est aussi synonyme d’endurance. Notre ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, a récemment rendu visite à des agriculteurs américains et a constaté leur résilience et leur capacité de renouvellement face à la crise. Beaucoup d’entre eux s’en sortent, sans aide de l’Etat, en ayant recours à des solutions imaginatives et en se diversifiant.

Tino Sehgal au Guggenheim : l'expérience du progrès

A 34 ans, Tino Sehgal est certainement l’artiste berlinois conceptualiste le plus en vogue. Il est le plus jeune artiste à avoir été présenté à la biennale de Venise. Cela fait dix ans que ce germano-anglais intrépide repousse les limites de l’art éphémère. Participatives, intraçables et polémiques, ses performances désarçonnent et fascinent. Après la Villa Reale de Milan, la Tate Modern de Londres et le MCA de Chicago, c’est au tour du Guggenheim de le recevoir.


Aucune information sur le site internet du musée ne prépare à l’expérience offerte par Tino Sehgal. Notre équipe, en mission au Guggenheim pour couvrir la très franchouillarde exposition Paris and the Avant-Garde, s’est laissée surprendre – sans trop avoir le choix – par l’efficacité de son message.
Prise d’otage artistique
La horde d’habitués new-yorkais est perplexe : le Guggenheim, mastodonte aux allures d’escargot, accueille désormais ses membres dans une petite antichambre. Ce changement amuse le gardien : « ils font tous la même tête quand on leur indique où prendre les tickets ! ».
Le hall principal, rotonde pensée par l’architecte Frank Lloyd Wright comme écho aux lacets vertigineux des étages, est immaculé, inquiétant. La première impression est que le musée est en travaux. Dans la foule, se distinguent peu à peu des silhouettes en exercice : les interprètes de Kiss (déjà présenté en 2002). Le jeune couple s’enlace passionnément, au ralenti. Il se lève doucement, puis s’allonge sur le sol. L’artiste nous expliquera plus tard que leurs poses sont autant d’hommages aux plus célèbres baisers depuis la Création. L’escalier en colimaçon à peine foulé, un enfant nous tombe dessus : « Puis-je vous poser une question ? Qu’est-ce que le progrès ? ». Il nous entraine sur le circuit qui monte. Nous baragouinons quelques banalités sur le changement social, déstabilisés. L’enfant retranscrit nos propos à une jeune adolescente au premier étage. Celle-ci s’étonne, à juste titre, que notre idée du progrès soit liée au simple changement. « Mais alors, la guerre, c’est un progrès ? » demande-t-elle, toujours en avançant.
Nous venons de passer l’entrée de l’exposition permanente des impressionnistes, il nous reste moins d’une heure avant que le musée ne ferme. « Mais qui êtes-vous au juste ? Votre école fait un atelier ? ». Une seconde d’agitation, la jeune fille s’évapore, une jeune femme surgit : « Pensez-vous que le progrès soit dépendant de l’ouverture, de la crédulité ? ». Nous comprenons enfin, honteux, que l’œuvre de Sehgal est en plein déroulement, que nous en sommes les principaux acteurs. La discussion s’intensifie, à mesure que nous retrouvons confiance et que nos interlocuteurs vieillissent. Nous évoquons la religion, la technique, le progrès artistique. Nous divaguons sur la musique avec un charmant monsieur aux cheveux blancs, John, qui confie avoir progressé au saxophone dès qu’il a su libérer son activité du besoin de reconnaissance.
Au quatrième étage, c’est à John de freiner notre course. Nous aurions grimpé encore longtemps à ses côtés. « Vous venez d’expérimenter le progrès, je vous laisse y réfléchir » ponctue ce guide spirituel, avant de disparaitre en un quart de seconde par l’une des trappes secrètes que Sehgal semble avoir installées.
L’immatériel de Sehgal
Amassés devant un Miró, le vague à l’âme, nous subissons la minuscule exposition consacrée à l’Avant-Garde parisienne. Produite par la réflexion d’un commissaire et grâce à des donations, elle semble bêtement matérielle. Il nous reste trente minutes. Nous préférons les consacrer à l’expérience troublante d’une progression à la fois dans l’espace et dans la réflexion. Retour dans le hall. Une rumeur annonce la présence de l’artiste. Nous le trouvons, conversant avec des touristes espagnols. Il parle de son obsession pour la transformation des actions, de son aversion pour le statique. Nous l’interrogeons sur l’absolu vide matériel de son exposition. « Je suis contre le mode de production dominant. L’immatériel est mon arme contre la surabondance de biens ».
Aucune documentation n’a d’ailleurs été produite pour l’exposition. Pour le nominé au prix Hugo Boss, les matériaux sont la voix humaine, le langage, le mouvement et l'interaction. Cette posture explique l’incessant recours aux interprètes. This situation, exposée dans la galerie Marian Goodman à Paris en 2009, puis à New York de novembre à janvier 2010, mettait en scène un groupe de six penseurs, débattant au cours de leur exercice de gymnastique. This is propaganda, en 2002, présentait en gardien chantant « Ceci est de la propagande ! ». Pour la bien nommée exposition This is new, en 2000, c’est un surveillant de musée qui déclamait les informations du journal du jour… L’art expérimental de Tino Sehgal n’est pas une transe introspective. Ses situations construites visent l’expérimentation par le public. Sollicités à tout moment, sur un pied d’égalité face au décryptage de l’œuvre, les visiteurs sortent du musée littéralement décomplexés et vivants. Et comme l’expérience a une force adhésive, on embarque un bout de Sehgal chez soi.

Entretien avec Randall Kennedy

Diplômé de Princeton et Yale, Randall Kennedy est professeur à Harvard. Il a publié Les politiques de trahison raciale en 2008. Il était le 27 janvier à la Villa Gillet (Lyon) pour parler de son nouveau livre sur Barack Obama et la question raciale aux Etats-Unis.
Pourquoi avoir déclaré : « J’étais persuadé que le premier président noir nord-américain serait conservateur » ?
Randall Kennedy : Effectivement, je pensais que si une personne de couleur noire devenait président des Etats-Unis, elle serait républicaine et très conservatrice. L’histoire de la représentation du pouvoir montre que la nouveauté est mieux tolérée si elle est incarnée par un tenant de la tradition. Cet effet compensatoire opère comme caution de stabilité et rassure l’opinion publique. La première femme ministre du Royaume-Uni, Margaret Thatcher, était ultraconservatrice. Si on m’avait dit en 2006 que Barack Obama allait devenir président des Etats-Unis, vraiment, je n’y aurais pas cru.
La popularité d’Obama aux Etats-Unis a décliné. Comment l’expliquez-vous ? Est-ce passager ?
R. K. : Cette baisse dans les sondages est temporaire. Le même phénomène a été constaté sous Bill Clinton. Barack Obama incarne le changement, c’est pour cela qu’il a été élu. Mais si l’idée du changement séduit, sa mise en place effraie, c’est classique. De plus, sa popularité était tellement forte début 2009, qu’elle ne pouvait que décliner. La crise économique sert et dessert Barack Obama. En même temps qu’elle a servi son élection - puisqu’il incarnait une voie nouvelle après Georges Bush déjà enlisé dans la crise financière -, elle est également un poids à la réalisation de ses objectifs. Une crise économique et deux guerres, voici un agenda bien chargé ! N’oublions pas que la société américaine est par nature divisée. Je ne suis pas surpris d’entendre les conservateurs gronder. Il est le premier président des Etats-Unis à parvenir au changement du système de santé depuis Lyndon Johnson, et c’est ce qui compte à mes yeux.
Certains observateurs reprochent à Barack Obama de dépenser trop, dans une période de difficultés économiques. Partagez-vous cette opinion ?
R. K. : Je pense qu’il a fait ce qui s’imposait : éviter la catastrophe. Je suis assez satisfait de ses décisions en matière économique. Je regrette que son administration n’ait pas une attitude plus ferme à l’égard de Wall Street.
Que pensez-vous de l’action de l’administration Obama contre le chômage ?
R. K. : Je pense qu’il reste beaucoup à faire. Le taux de chômage est très élevé (plus élevé que ce que les chiffres officiels laissent penser), surtout chez les minorités. L’argument de la crise doit servir de catalyseur dans la lutte contre le chômage. Mais cette dernière s’inscrit dans un processus long. Accélérer la mobilisation de l’état contre la perte d’emploi, est un objectif permanent, crise ou pas crise.
Alors que sa popularité décroit aux Etats-Unis, Barack Obama est toujours adulé en Europe. Pensez-vous qu’Obama soit le président de cœur des Européens ?
R. K. : Ce serait excessif d’affirmer cela. Barack Obama, parce qu’il est concerné par les problèmes du monde, est apprécié outre-Atlantique. Il est devenu un symbole de tolérance depuis son discours à l’ONU. Les européens y sont très sensibles. De même qu’ils ont été très sensibles, mais dans un mauvais sens, à l’arrogance de Georges Bush. Ainsi, Barack Obama, avant d’être exceptionnel pour ce qu’il est aux yeux du monde, l’est d’abord comme alternative à George Bush. D’autre part, les Européens sont moins directement concernés par les sujets épineux sur lesquels Barack Obama a tranché, et donc encore portés par l’optimisme d’après élection. Même si je soutiens Barack Obama, je suis personnellement inquiet des choix qu’il fait en Afghanistan. Je m’attendais à une rupture plus franche avec la politique militariste de l’ancienne administration.

Philip Frabosilo : taxi-pasteur

Depuis 40 ans, Philip Frabosilo conduit l’un des emblématiques taxis jaunes de New York. Dans un but singulier : sauver des vies.

Les trajets de ce taxi-driver au grand cœur mènent tous les soirs dans ces coins reculés de Brooklyn où les sans-abris se cachent, où les circuits du commerce ne parviennent pas. Le mercredi, c’est en plein cœur de Manhattan que Philip va nourrir les démunis, contre quelques minutes de prêche religieux. Nous l’avons suivi dans cette pérégrination mi-humaniste, mi-évangéliste.
L’ange trapu de Brooklyn
Washington Square, mercredi, 20 heures. Philip Frabosilo chante des extraits de la Bible aux sans-abris venus l’écouter, malgré le vent glacial qui chahute New York. Steve, Stéphanie et John font partie des fidèles auditeurs. Tous ont perdu leur logement. Olga, volontaire à la Times Square Church depuis trois ans, aide Philip à disposer les cartons de pizzas sur les bancs de la place. « Quand il pleut, Philip apporte des parapluies », explique la jeune femme.Qu’il vente ou qu’il pleuve donc, Philip nourrit Greenwich. Tout le monde le connait ici. « Il est notre ange gardien » confie Stéphanie, qui dort sur la ligne orange, la F.
Philip ne passe pas inaperçu. Son allure – petite et trapue – vient contredire un visage rayonnant dont les rides sont de multiples traces de joie. Sa démarche est bondissante, si bien que des ailes semblent être greffées à ses pieds. Ce rassemblement hebdomadaire, qui a lieu depuis 7 ans, n’est chapoté par aucun organisme religieux. Tout chrétien, ou athée, semble être le bienvenu. Philip Frabosilo n’a d’autre chef spirituel que Jésus Christ, qu’il apostrophe dans ses sermons. De quoi choquer l’institution chrétienne. Beaucoup d’Eglises new-yorkaises désavouent la méthode Frabosilo, explique le concerné qui s’en moque. Aucune maison de Dieu n’a su le retenir entre ses murs : « je suis un homme d’action dont la foi s’exprime sur le terrain » déclare-il, « et le seul ecclésiastique avec lequel je m’entende est le pasteur Rose, de la Woodside Community Church, parce qu’il a travaillé avec des gangsters ».

Entre deux chants, Philip alpague joyeusement les passants intrigués : « venez mangez mes frères, personne ne vous mangera ! ».

La méthode Frabosilo

Nous avons rencontré Philip par hasard, avenue Manhattan, un jour où il apportait de la nourriture à des personnes âgés du quartier de Greenpoint, contre quelques vêtements à redistribuer aux sans abris. Ce trajet avait éveillé nos sens. Sur le siège arrière du taxi bigarré se trouvaient un exemplaire de la bible, des photocopies de chants chrétiens, un album photo d’« amis de Jésus », ainsi que 400 baggels aux oignons, une dizaine de boite de pizzas et une canne à pêche, … Pareillement équipé, Philip traçait vers le sud de Brooklyn, vers un parc de Red Hook. « Je préfère arriver avant qu’il ne fasse nuit, pour éviter les ennuis », avait-il expliqué, avant de nous lâcher sur le bitume en refusant d’être payé. « Et demain à l’aube, si vous me cherchez, je serai en train de pêcher au bord de l’Hudson River ! ».

Secouriste ambulant, Philip mène son instruction d’une manière apparemment anarchique, mais en réalité très méthodique. Chaque soir, il passe voir ses fournisseurs, la pizzeria Tusli et l’épicerie Moajour dans Greenpoint, qui depuis 10 ans lui confient leurs invendus. Les pizzas sont placées dans de la glace, dans le coffre, les baggels dans un immense sac. Il en profite au passage pour saluer chaleureusement les habitués du Tusli qui, il y a quelques années, fêtaient dans la pizzeria le décès de la mère de Philip. « Maman était une sainte, elle rêvait que ses amis fassent la fête le jour de son passage vers l’au-delà ; nous avons fait la fête, comme elle le voulait ».

Les lendemains, Philip impose à tous ceux qui mangent ses pizzas de se servir des gants en plastique qu’il distribue. « Je dois faire très attention à l’hygiène ». Avant d’offrir ces vivres, Philip confie des photocopies d’extraits de la bible et de chants qu’il a inventés. La communion est le passage obligé avant le ravitaillement.

« N’allez pas à l’Eglise, soyez l’Eglise »

Le prêche de Philip pourrait passer pour de l’anticléricalisme. « Se contenter d’aller à l’Eglise, ce n’est pas avoir la foi, c’est imiter », philosophe Philip dans un de ses versets. Son incitation à être pleinement chrétien pourrait être perçue comme un ordre de non fréquentation de l’Eglise : « N’allez pas à l’Eglise, soyez l’Eglise ». Mais quand il est interrogé sur son militantisme anticlérical, Philip précise : « nous sommes tous frères, je respecte tous les chrétiens et leurs pratiques religieuses, je dis simplement qu’aller à l’Eglise n’est pas gage de bonne foi et ne suffit pas ».Steve et Stéphanie aiment la proximité que Philip instaure entre Dieu et ses sujets. Stéphanie affirme que Philip l’a réconciliée avec Dieu, qu’elle communique avec lui maintenant. « C’est pour Dieu que je reste en vie » dit-elle. Steve, plus discret, explique que Jésus a un peu remplacé ses parents. « Ils m’ont mis à la porte il y a deux ans, je n’ai pas voulu continuer à vivre dans un abri pour SDF. Je dors dans Washington Square en priant pour que Dieu me protège ».

Steve a 24 ans. Il a vécu trois mois l’année dernière dans l’un des anciens abris de Manhattan délocalisé par Giuliani. L’ancien maire de New York avait , pendant son mandat, entrepris une très controversée purification du quartier touristique de Manhattan, en déplaçant trois refuges pour SDF vers l’excentré et dangereux quartier du Bronx. Steve s’y est fait voler ses affaires et scarifier par une bande… Il a ensuite rejoint Washington Square, où il se sentait plus « en sécurité ».

Le dernier rapport du New York City Department of Homeless Services (25 janvier 2010) montre que 21 501 adultes et 15 787 enfants vivent dans les rues de New York. La solution d’éviction des sans-abris de Bloomberg – un simple allé en avion est payé par le gouvernement à tout SDF attestant avoir de la famille à l’étranger – témoigne du désengagement politique de la gestion des sans-abris. Logiquement, les organisations ou représentants religieux viennent remédier à ce manque. Vers 23 heures, Philip conclut son discours : « l’Amérique est la mère du capitalisme qui isole. Dieu seul peut nous réunir ». Il remballe les paquets vides, aidé d’Olga. « Ouais, c’est le monde entier qui est capitaliste » vocifère John, un peu saoul et affairé à trouver in extremis la dernière part de pizza à la viande.

Sur le retour, en passant le pont de Brooklyn, nous demandons à Philip comment sa vie de couple survit à son insatiable soif d’aider le monde entier. « Je suis rentré tous les soirs de ma vie dormir à la maison, qui peut en dire autant ? »

Que le temps vienne où les coeurs s'éprennent

Loin des Amériques... la mort reprend ses droits. Si Eric Rohmer restera, Maurice Schérer est mort dans les bras de ses proches.
Et nous, ses adoratrices ? Notre insignifiance et, si nous en sommes pourvus, notre décence, devraient nous contraindre au silence. Mais comment ne pas pleurer l’artiste aimé qui disparait ? Comment ne pas se sentir endeuillée par l’annonce irrévocable de la fin d’un art.
Google scande Rohmer est mort ! Ce sont d’abord des souvenirs heureux qui jaillissent. La passion de ma mère, la file d’attente pour « Conte d’été » au cinéma de quartier en 1996, les soirées « Contes moraux » autour d’un verre de vin dans l’arrière pays niçois, les débats agités sur la difficile démocratisation du cinéma d’auteur... Un fil rouge tendu jusqu’au dvd store d’un petit quartier polonais de New York, où le propriétaire cinéphile me glissait la semaine dernière l’air complice « Ma nuit chez Maud ».
Avec Eric Rohmer, s’évapore la marque indélébile de soirées romantiques, un peu seule. Ou celle, au contraire, de moments d’élévation collective autour de notre inanité objectivée par sa caméra. Avec Rohmer, on sentait sa féminité grandir. La jeune fille, objet d’obsession, avait gagné la complicité de l’austère khâgneux.
Eric Rohmer m’a appris le cinéma. Il m’a susurré des évidences de plans, de cadrage, de choix d’acteurs, d’écriture de scénarios. L’intelligence de son point de vue, mi-moqueur mi-laudateur, est celle d’un poète. Un poète discret.
Son cinéma prend le temps d’envelopper les spectateurs de leur réalité, déroulée lentement à l’écran. Une réalité parisienne, bretonne, landaise, toujours intime, faite de mots. Le discours en écho de ses personnages flirte sciemment avec le ridicule. Le ridicule d’un milieu bourgeois enivré d’amourettes que l’artiste connaissait bien. Le ridicule des principes qui empêchent ses personnages de vivre. Empli de modernité et de classicisme, le cinéma de Rohmer est intemporel.
Professeur de lettres, écrivain, critique, rédacteur en chef des Nouveaux Cinémas, initiateur de la Nouvelle Vague, créateur de plus de 25 long métrages… Y’a-t-il une seule montagne qu’Eric Rohmer n’ait pas gravi ? Et le tout sans faire de bruit ; sans répondre à la curiosité des journalistes, sans douter quand Rivette et Godard se partageaient la vedette.
On aime Eric Rohmer ou on le déteste. C’est assez radical. Mais on ne le dévoie pas au fils des ans, parce qu’il est toujours resté lui-même, érotomane prudent, ethnologue du grand écran, conteur de l’errance.
Qu’on lui reproche de ne s’intéresser qu’à un seul univers ? C’est lui rendre hommage. Comme Hitchcock, qu’il admirait tant, Rohmer avait sa signature.Prions pour que, sur ses traces, les cinéastes français s’affranchissent des phénomènes de mode. On applaudit le romantisme bucolique des derniers films d’ambiance de Pascale Ferran et de Jane Campion. Mais ces œuvres, trop marginales, ne rivalisent pas encore avec la pléiade de celui qui écoutait la pluie.